Blogue de conservation

Le patrimoine bâti: témoin d'une époque révolue

23 avril 2013


Le parc national de Ile-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé renferme en ses limites des témoins précieux des différentes époques de l’histoire du Québec. Cette histoire y est imprégnée dans le bois et dans la pierre. Le parc renferme un des plus importants patrimoine bâti du réseau des parcs nationaux du Québec.

Au tout début…

En 1534, quand Cartier prend possession de ces territoires au nom du Roi de France, il ouvre la voie aux morutiers français et à la pêche saisonnière. La période française est florissante pour les morutiers, ceux-ci s’installent à Percé soit 600 pêcheurs qui chaque année viennent pêcher pas moins de 1,5 million de quintaux de morues.

À ces saisonniers viennent s’installer des seigneurs soit Nicolas Deny en 1653, ou Pierre Denys de la Ronde en 1672 qui à titre d’entrepreneurs installent des colons , bâtissent des entrepôts et des magasins. Ces entreprises locales viennent vite en compétition avec les morutiers français, d’où l’ordonnance de l’intendant Desmeules, qui décrète en 1686 la zone libre de pêche, donnant ainsi raison aux intérêts français, au détriment d’une industrie de pêche canadienne.

Charles Robin

Dès 1766, soit six ans après la Conquête, le Jersiais Charles Robin s’implante en Gaspésie plus particulièrement à Paspébiac pour y installer un poste de pêche. Dès le départ, il appuie son entreprise sur trois éléments. Avoir plusieurs succursales de pêche, une flotte marchande et un magasin général. C’est dans le magasin général que s’opère le système de crédit, d’endettement auprès des pêcheurs. Ce système fera en sorte d’attacher les pêcheurs au commerçant, ce qui sera à la base de la rentabilité de l’entreprise de pêche.

Le site de pêche d’une compagnie jersiaise est organisé de façon rigoureuse et efficace. Chaque bâtiment a une fonction spécifique à l’intérieur de laquelle chaque homme a une tâche précise.La composition du site se compose de hangars de maisons qui servent de magasin général, d’entrepôt pour le sel, la morue salée-séchée, les marchandises périssables, pour la glace ainsi que pour y loger les hommes. Elles portent les noms tels que le Chafaud, la Saline, La Neigère et la Cantine.

Au faîte de toute cette organisation trône la maison de l’agent de la compagnie dirigeante. D’origine jersiaise, celui-ci gère et voit aux intérêts de la compagnie comme si elle était à lui. Il loge sans la plus belle maison du site. Elle est située au milieu, de façon à voir tout ce qui s’y passe. La maison lui servira en autre à y recevoir les actionnaires, les invités de marque tels , les inspecteurs des pêches et autres. Ceux-ci s’entendent tous sur le fait qu’il n’y a rien de plus beau en Gaspésie qu’un site de pêche jersiais. Les bâtiments y sont bien entretenus, les murs sont blanchis à la chaux, les découpes y sont rougies au sang de bœuf. Tout y est classé, organisé et structuré. Des détails d’architecture voire des moulures, agrémentait les cadres des fenêtres et des portes.

En plein essor économique dès le début du 19e siècle, la compagnie de Charles Robin mettra en opération pas moins de 27 sites de pêche, répartis entre le Nouveau-Brunswick et la côte gaspésienne. Parmi eux, le site de Paspébiac sera son poste principal, mais c’est celui de Percé qui s’avère être le plus performant. Ce site est composé de 40 bâtiments où y opèrent pas moins de 300 hommes répartis dans les bâtiments et dans les soixante-dix bateaux qui composent sa flotte. En 1857, il y avait pêché à Percé pour 5,600,000 livres de morues, ce qui représentait le tiers de sa production locale.

La maison Brochet, avant et après.

L’île Bonaventure

De l’autre côté de Percé, sur l’île-Bonaventure, une petite communauté prend forme. Embryonnaire à ses débuts vers 1797, elle atteindra cent soixante-douze personnes en 1835 réparties en trente-cinq familles d’origine jersiaise, irlandaise et canadienne-française. Elles portent des noms aux consonances ethniques : Duval, Hennessy Wall, Mauger et Brochet, etc. Arrivées sur l’Ile pour pêcher, ils s’y sédentarisent , y construisent des maisons et des installations de pêche.

En 1819, Peter Duval, corsaire pour le compte du Roi d’Angleterre, rachète un lot à la compagnie pour qui il travaillait comme capitaine au long cours. Il se lance dans l’entreprise de pêche et s’installe sur le lot numéro 1 sur l’île Bonaventure. Il met en place une infrastructure de pêche, mais doit déclarer faillite en 1838. En 1845, c’est la compagnie LeBoutillier Brothers qui fait l’acquisition du lot en faillite. David Leboutillier est un ancien gérant de la compagnie Charles Robin. Né à Jersey, il est recruté par la compagnie Charles Robin pour aller travailler au seing de la compagnie.

David entre chez Robin à l’âge de 16 ans, il y fait ses armes et en 1838 fonde sa propre entreprise de pêche. Il acquiert sept postes de pêche, dont celui de l’île Bonaventure et deviendra la deuxième plus grosse compagnie de pêche après celle de Charles Robin.

Sur l’île Bonaventure à partir des installations de Duval, il mettra en place une vingtaine de bâtiments, autour desquels s’activeront à peu près cent vingt à deux cent soixante-quinze hommes. Jersiais dans l’âme, il va copier son ancien patron et son site sera la copie fidèle des sites de pêche jersiais y reproduisant les mêmes bâtiments, avec les mêmes caractéristiques architecturales, tel un œil-de-bœuf à l’entrepôt principal, ou en colorant les bâtiments de rouge et de blanc. Il chapeautera le site par la maison du gérant, belle et grande demeure élégante qui sera impressionner et démontrer la richesse de la compagnie.

Dans le feu des opérations, la compagnie possède deux autres lots sur l’île soit le «Middle room» et le «Mouton» ce qui dénote l’importance du site de pêche de l’île Bonaventure et de Percé comme étant un poste de pêche important.

La fin de l’âge d’or des pêcheries

À partir de 1886, des difficultés financières sonnent le glas des compagnies jersiaises. Le territoire trop petit, ainsi que les nouvelles activités économiques, telles la forêt ou les mines font en sorte que les jeunes quittent l’île.

C’est en 1926 que l’activité principale qu’est la morue salée séchée est définitivement délaissée sur l’île et les bâtiments de pêche laissés à l’abandon. À partir des années 1930, une toute nouvelle clientèle fait son apparition sur l’île, les touristes, élitique au début, elle deviendra de masse dans les années 1960.

Cependant l’île est déserte et à partir de 1963, plus personne n’y habitera à l’année. Certains gardent leur maison ancestrale comme chalet d’été, d’autres les vendent à des étrangers en quête de lieu paradisiaque. C’est comme ça que de 1934 à 1968, c’est 52,8 % de la propriété foncière est passée aux mains d’Américains.

La maison Duval, avant et après

Le potentiel d’interprétation du patrimoine

En 1971, le Gouvernement du Québec se porte acquéreur de l’île Bonaventure et des quatre bâtiments Robin à Percé. Afin de consolider le patrimoine bâti du parc, certains bâtiments sont détruits et les autres bénéficient de rénovations partielles, ce qui pourra les stabiliser pour un certain temps.

Il faut attendre en 1999, pour développer un plan de restauration complet du patrimoine bâti du parc. Celui-ci s’inscrit dans un contexte particulier à savoir que le parc national de I’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé ainsi que la municipalité de Percé sont dans l’arrondissement naturel de Percé. Ce qui veut dire qu’une loi nous encadre tous dans le principe de conservation des lieux, et que celle-ci est gérée par le ministère des Affaires culturelles.

Dans un premier temps nous avons soumis un concept d’interprétation pour l’ensemble du patrimoine bâti restauré dans le parc. Ce concept élaborait plusieurs points : nous avons fait faire un relevé technique d’architecture pour toutes les maisons par une architecte, afin de pouvoir conserver tous les détails, au cas où une maison disparaitrait. Nous avons proposé pour chaque maison des interventions au niveau de la restauration de celle-ci. Il faut comprendre que l’exercice est de remettre les différentes maisons, le plus près possible de leur état original.

Pour y arriver, une recherche au niveau des techniques d’architecture, des types de moulures, du type de construction et des matériaux a été à la base de nos interventions. Pour la suite, il fallait proposer pour chaque maison une future utilisation qu’elle soit à des fins d’interprétation, pour les employés, ou pour des services telle restauration, point de service, atelier d’artiste, atelier pour les ouvrières du parc, etc.

La proposition de cette version globale «Concept d’interprétation» nous a permis d’avoir l’aval des Affaires culturelles pour engager les travaux de restauration pour l’ensemble du parc, soit vingt-quatre bâtiments.

Une seule des maisons a échappé à ce processus, soit la maison du gérant de la compagnie LeBoutillier qui fut restaurée en 1996-1997. Toute la structure, les portes, les fenêtres ainsi que la partie avant de l’étage supérieur furent restaurées, afin de lui redonner son lustre d’antan. C’est à l’intérieur de cette maison que nous donnons le programme d’interprétation en histoire.

La maison LeBoutillier, avant et après.

La restauration

En 2000, nous avons engagé la première vague de restauration dans le parc. Nous nous sommes attaqués aux quatre bâtiments Robin : le Chafaud, la Neigère, la Cantine et la Saline. Il fallait faire une restauration complète de ces quatre bâtiments, positionnés au coeur du village de Percé et y intégrer les services du parc, c'est-à-dire le Centre de découverte avec ses deux expositions permanentes, celle sur les thématiques du parc et une toute spéciale sur le Régime Français. De plus, nous avions à intégrer, aux autres bâtiments, le bureau du parc, des naturalistes, le centre de documentation, l’amphithéâtre, le salon d’accueil et la boutique.

La recherche nous a permis de remettre les éléments d’architecture apparentés au 19e siècle, mais de plus, nous avons redonné aux bâtiments les ouvertures d’origine, en remettant les quatre portes qui donnaient sur la mer, par où les engagés de l’époque circulaient et qui sont devenues les portes d’entrée du Centre de découverte.

Une deuxième vague de restauration s’est appliquée à restaurer les bâtiments LeBoutillier sur l’île Bonaventure. L’exercice de restauration s’est basé sur une recherche faite en outre sur une maison d’engagés de la compagnie située sur le lot no 6 «Middle Room. La recherche a pu nous démontrer le niveau des types de moulures ainsi que du type de construction utilisé par la compagnie LeBoutillier sur des bâtiments de service tel un dortoir pour les employés. Ces détails d’architecture furent conservés et appliqués à l’ensemble des bâtiments LeBoutillier.

Nous avons restauré à partir de ces critères la maison des gens de terre qui est devenue le poste d’accueil sur l’île, mais nous sommes aussi intervenus pour certains travaux sur l’entrepôt LeBoutillier, qui est le restaurant des Margaulx, sur l’entrepôt de marchandise ainsi que sur les guérites que nous retrouvons sur le site. De plus nous sommes intervenus sur les toitures des maisons Maloney, du Chalet Mauger et Maloney.

Depuis 2010, nous intervenons sur les maisons qui se retrouvent le long du Chemin du Roy. Conformément à notre plan d’interprétation, nous intervenons afin de restaurer toutes les maisons qui s’y trouvent, tout en leur donnant une vocation à des fins d’éducation ou de services à la clientèle. Le but de l’exercice est de redonner vie à la zone pastorale,d’y conserver l’esprit des lieux, et de conserver la trace ,autant du patrimoine bâti, que de la mémoire de l’histoire des gens qui y ont vécu.

Les interventions ont permis de restaurer les maisons, Brochet, Kittie Bruneau, Bettinger, Katz et la remise Katz, ainsi que la maison des pêcheurs située sur le Middle Room. Une série de maisons dédiée en outre à l’interprétation, soit de la compagnie LeBoutillier ( maison des pêcheurs), soit des artistes ayant habité l’île (Bettinger 1936 et Kittie Bruneau 1960) ou pour des besoins de service (Chalet Katz et Remise Katz) restauré pour accueillir l’atelier et l’entrepôt à bois.

Une dernière maison fut démolie pour les besoins de la cause, tout en y conservant certains éléments d’origine, la maison DuVal. La maison fut de 2011-12 reconstruite à l’identique, avec les mêmes types de matériaux, sur son emplacement d’origine, avec tous ses éléments architecturaux. La restauration témoigne non seulement du savoir-faire des habitants de l’époque, mais relate l’histoire d’une des familles les plus importantes sur l’île, les DuVal. Cette maison qui a repris sa place dans l’univers patrimonial de l’île, s’insérera dans la randonnée guidée, intitulée «Dans les pas des insulaires» et contribuera à imager le discours du garde-parc naturaliste dès l’été en 2013. Une troisième étape reste à venir pour terminer l’ensemble de restauration des maisons du parc. Celles-ci sont apparentées aussi aux habitants de l’île, soit les maisons Paget, Wall et Grant Waught.


Rémi Plourde est le directeur du parc national de l'Ile-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé

plourde.remi@sepaq.com

Photo: Parc national de l'Ile-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé


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