Blogue de conservation

Les « remarquables oubliés »

23 novembre 2015


Alors que le parc national du Lac-Témiscouata concentre ses activités de recherche et de fouille sur les sites préhistoriques du territoire, un projet de recherche initié par Laurence Bolduc de l’Université de Montréal nous ouvre les portes de l’histoire forestière, à cheval entre archéologie et ethnographie.

L’archéologie comme un trait d’union

Étrange paradoxe de l’histoire forestière assez grande pour remplir notre imaginaire populaire, trop petite pour figurer dans le livre de la grande histoire. Combien de familles comptent parmi elles « d’incroyables oubliés », acteurs d’une histoire anonyme qui a coulé sur nos territoires à la grande époque de la drave et des camps forestiers? Les copeaux et la poussière sont depuis longtemps retombés sur ces souvenirs. La terre recouvre désormais les restes matériels d’une époque révolue. Et partout ces petites histoires se perdent à mesure que disparaissent les derniers témoins de cette époque. Cette histoire, il faut la réapprendre un objet à la fois, une histoire à la fois. Car si la grande histoire s’écrit à grand renfort de documents officiels, cette autre histoire nécessite qu’on fouille patiemment la terre à la recherche d’objets et qu’on mette à profit la mémoire de nos ainés. Fouiller sur les sites des camps forestiers, c’est creuser dans notre mémoire collective.

C’est ce long travail de collecte et de réappropriation que Laurence Bolduc, étudiante au doctorat à l’Université de Montréal, a commencé cet été au parc national du Lac-Témiscouata. Si l’objectif est bien sûr de documenter une époque encore peu étudiée sur le territoire, il est également d’en apprendre plus sur le lien qui existe entre la communauté et son histoire, de créer une vraie relation et de vrais échanges avec les témoins de cette époque. Il ne s’agit pas de simplement prendre, mais aussi de redonner, pour remettre un peu de lumière sur les ombres du passé et permettre aux gens de se réapproprier leur histoire, leur territoire. Ce projet, à la limite de l’ethnographie, place l’archéologie comme un trait d’union entre la mémoire et les objets, entre le passé et le présent.

Résultats de la campagne de prospection estivale

Après un premier été d’inventaires et de préparation visant à poser les bases de ce grand projet, plusieurs sites de camps forestiers ont finalement été retrouvés sur le territoire du parc. D’autres nécessiteront encore des investigations pour être localisés précisément. Dès l’été 2016, une grande invitation sera lancée aux habitants des villages avoisinant le parc national du Lac-Témiscouata pour participer à une activité spéciale. En effet, 3 jours par semaine, Laurence Bolduc partira sur le terrain avec ceux et celles qui auront répondu à son appel pour réaliser des fouilles publiques et prendre un moment pour échanger et transmettre quelques fragments de savoir ou d’histoires familiales. Cette démarche n’a pas pour objectif de fouiller le plus possible, mais de permettre aux gens de se réapproprier leur propre histoire en mettant à jour les objets de ce passé récent. La période d’échange permettra à chacun de partager ce qu’il sait, d’enrichir les connaissances actuelles et d’apporter un regard personnel sur les objets découverts. Voilà la magie ou l’alchimie subtile des fouilles publiques que souhaite réaliser Laurence en transformant les artéfacts en souvenirs.

Figure 1 Bouteille en verre retrouvée dans un des sondages réalisés sur le site CKEe-3

Conclusion

Ce projet, qui s’ajoute aux fouilles publiques déjà réalisées par le parc, sera également en partie accessible aux visiteurs. 2016 sera donc encore une belle année pour l’archéologie et chacun pourra selon ses préférences fouiller des camps forestiers ou des sites préhistoriques. Le Témiscouata a le souvenir à fleur de peau, à fleur de terre. Il faut se souvenir, c’est notre histoire, c’est notre devoir. Je me souviens. Un objet à la fois, une histoire à la fois…

Figure 2 Tuyau de pipe, seau et autres objets découverts dans une fosse à déchet sur le site CkEe-3

Références

Eid, Patrick. 2013. Plan de gestion patrimonial du parc national du Lac-Témiscouata. Ministère de la Culture et des Communications.

Pintal, Jean-Yves. 2012. Parc National du Lac-Témiscouata. Secteur des sites CkEe-003 et CkEe-014. Inventaire archéologique 2012. Rapport inédit remis à la Sépaq et au ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.


Pierre-Emmanuel Chaillon est responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national du Lac-Témiscouata. Chaillon.pierreemmanuel@sepaq.com

Laurence Bolduc est archéologue et étudiante au doctorat à l'Université de Montréal.

Photos: Laurence Bolduc


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