Attention: Traverse de chauves-souris à Tadoussac!
10 septembre 2013
Devant la situation inquiétante qui frappe les chauves-souris au Québec, le parc national du Fjord-du-Saguenay tente de suivre les fluctuations des populations et d’apporter des connaissances sur la migration des chauves-souris du nord-est du Québec.
Mieux les connaître
L’enregistrement de cris de chauve-souris dans le secteur de Tadoussac a été amorcé en 2011 d’abord pour confirmer l’importance de l’étang de la pisciculture situé près du lac de l’Anse-à-l’Eau comme lieu de chasse pour la chauve-souris rousse, désignée susceptible d’être menacée. Le suivi se veut maintenant une base de données pour évaluer les fluctuations au niveau des populations de chauve-souris migratrices du nord-est du Québec et déceler si la présence du syndrome du museau blanc affecte les populations dans le secteur.
Nocturnes et grandes prédatrices d’insectes, les chauves-souris fréquentent régulièrement les étangs et les lacs. Elles y viennent pour s’abreuver et s’alimenter des insectes qui survolent les habitats riverains. À elle seule, la petite chauve-souris brune (Myotis lucifugus), pesant environ 8 g (la masse de deux pièces de 5 cents et d’une pièce de 10 cents), peut facilement capturer 600 moustiques en une heure. C’est grâce à l’écholocalisation que les chauves-souris réussissent à attraper leur proie et chaque espèce possède un cri différent, telle une signature sonore. Les chauves-souris sont donc identifiées par comparaison entre les fréquences et les caractéristiques des cris d’écholocalisation de chacune des espèces.
Au fil des saisons
Au cours de l’été, les individus de certaines espèces de chauves-souris se rassemblent en colonies, tandis que d’autres vivent seuls. Quelle que soit l’espèce, les femelles et les jeunes s’alimentent abondamment en juillet et en août, car ils font des réserves de graisse en prévision de l’hiver. À l’automne, lorsque les conditions climatiques deviennent plus rigoureuses et que les insectes se font moins nombreux, les chauves-souris combinent migration et hibernation. Certaines espèces qui gîtent dans les bâtiments migrent vers des lieux d’hibernation, en général dans des cavernes ou des mines désaffectées : les températures y sont stables et supérieures au point de congélation et l’humidité y est très élevée. La petite chauve-souris brune peut parcourir des centaines de kilomètres pour retrouver leur hibernacula et la grande chauve-souris brune, des dizaines de kilomètres. Ces espèces sont dites résidentes.
D’autres espèces, comme la chauve-souris rousse, la chauve-souris cendrée et la chauve-souris argentée migrent vers le sud où elles peuvent hiberner dans des arbres creux ou des couches de feuilles mortes ou même rester actives. Elles quittent nos latitudes au début septembre et arrivent à leur aire d’hivernage en octobre. Selon Cryan et Brown, les chauves-souris rousses de l’est du Canada migrent sur de longues distances en suivant la côte atlantique. Elles pourraient aussi emprunter les mêmes routes migratoires que plusieurs espèces d’oiseaux et se regrouper malgré leur nature solitaire. Elles passent généralement l’hiver entre le nord-est des États-Unis et le golfe du Mexique où la température ne descend que très rarement en dessous de 0 °C. En avril, elles entreprennent leur migration vers le nord pour atteindre leur aire estivale vers la fin du mois de mai.
Tadoussac : un couloir migratoire
Comme les oiseaux, les chauves-souris du nord-est du Québec évitent probablement une périlleuse traversée du golfe du Saint-Laurent lors de leur migration vers le Sud. Tadoussac, située au croisement de la rivière Saguenay et du fleuve Saint-Laurent, devient ainsi un endroit de prédilection pour assister aux passages des chauves-souris. Elles doivent vraisemblablement longer la côte nord et utiliser les étangs et lacs pour se ravitailler sur la route. Le lac de l’Anse à l’Eau est ainsi un point stratégique pour observer des fluctuations au niveau des populations de chauve-souris migratrices.
En 1999, une station d’écoute située aux abords de la rivière du Moulin-Baude à Tadoussac a en effet déjoué toutes les statistiques de la région et de la province lors de l’unique heure d’enregistrement effectué par Envirotel. En période de migration, plus de 86 cris de chauve-souris rousse et 185 cris de Myotis avaient alors été enregistrés. Le fort pourcentage de chauve-souris rousse (31.7% des cris identifiés) par rapport au Myotis laisse présager la présence d’un corridor migratoire à Tadoussac. Normalement, une proportion de Myotis supérieur à 90% est habituellement observée dans les régions nordiques telles que la Gaspésie, la Côte-Nord, le Saguenay-Lac-Saint-Jean et le Nord-du-Québec.
Les chauves-souris du parc
Les résultats préliminaires des inventaires de 2011 et 2012 démontrent qu’il y a eu plus de 22 127 sonagrammes d’enregistrés à proximité du lac de l’Anse à l’Eau. L’analyse exhaustive de tous les sonagrammes enregistrés n’a pas été effectuée, mais un examen rapide des sonagrammes permet de détecter la présence de Myotis sp. (petite chauve-souris brune, chauve-souris nordique ou chauve-souris pygmée de l’Est) et de chauve-souris rousse. Il est fort probable qu’une analyse plus complète des sonagrammes permettrait de détecter d’autres espèces, telles que la chauve-souris argentée et la chauve-souris cendrée, qui pourraient utiliser ce secteur notamment en période de migration.
De plus l'analyse du nombre de sonagrammes enregistrés au courant des périodes de nidification, de rassemblement et reproduction et de migration démontre que le site est utilisé durant toute la saison par les chauves-souris. Bien que ces résultats ne permettent pas d’évaluer une densité précise, ils démontrent que ce site est essentiel pour les chauves-souris durant l’ensemble de leur période d’activité.
Nombre de cris enregistrés au lac de l’Anse à l’Eau à Tadoussac
|
Nidification 15 juin au 31 juillet |
Reproduction et rassemblement août |
Migration septembre et octobre |
|||
|
Nb de cris |
Nb de nuit |
Nb de cris |
Nb de nuit |
Nb de cris |
Nb de nuit |
2011 |
5 817 |
13 |
3 925 |
9 |
90 |
1 |
2012 |
11 069 |
12 |
129 |
1 |
1 097 |
21 |
2013 |
|
|
≈1 415 |
4 |
|
|
Total |
16 886 |
25 |
5 469 |
14 |
1 461 |
23 |
Un avenir incertain
En plus du syndrome du museau blanc, d’autres menaces et des facteurs biologiques peuvent jouer sur le rétablissement des populations de chauves-souris. Le développement de l’énergie éolien peut avoir des conséquences non négligeables sur certaines populations. En outre, malgré leur petite taille, les chauves-souris sont des mammifères qui vivent pendant longtemps et se reproduisent très lentement. En fait, la plupart des espèces ne produisent qu’un seul petit par année. Ces caractéristiques de longévité et de reproduction rendent la protection des chauves-souris si importante.
Nancy Lavoie est garde-parc technicienne du milieu naturel au parc national du Fjord-du-Saguenay lavoie.nancy@sepaq.com
Photos: Nancy Lavoie