Découverte unique au monde à Miguasha: l’espoir devenu réalité…
3 décembre 2013
Le 30 octobre 2013, à Los Angeles, a été révélée lors de la 73ème rencontre annuelle de la Society of Vertebrate Paleontology la plus grande découverte en 135 ans de recherche à Miguasha, d’une importance cruciale pour la biologie évolutive. Ce fossile, unique au monde, vient répondre à une fascinante énigme scientifique datant de 1937 et permet à lui seul d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire du site fossilifère de Miguasha. Un patrimoine universel, découvert en sol québécois, qui sera étudié au Québec et dont Parcs Québec assurera la conservation et la mise en valeur pour les générations actuelles et futures.
Le site de Miguasha témoigne de la vie sur Terre au Dévonien tardif, il y a 380 millions d’années et est, depuis 1999, inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Parmi les grands évènements évolutifs survenus au Dévonien qui sont représentés à Miguasha, aucun n’attire autant la communauté paléontologique et le grand public que la transition évolutive menant des poissons aux tétrapodes.
L’émergence des tétrapodes, les vertébrés dotés de quatre membres, puis leur adaptation subséquente à la terre ferme, représente en effet l’un des chapitres les plus marquants de l’évolution des vertébrés, voire de la vie en entier, et fascine notre propre espèce, elle-même tétrapode par définition. Pourtant, on ne dénombre à l’échelle de la planète qu’une poignée de sites paléontologiques renfermant des archives fossiles de qualité de cet important jalon de l’histoire de la vie. Avec Miguasha, le Québec a la chance de préserver l’un d’eux.
Le prince et son rival
L’intérêt des paléontologues pour le site de Miguasha remonte à la fin de XIXe et a d’ailleurs été, dès le départ, lié à la question de la transition poissons-tétrapodes. D’abord parce qu’on y a découvert Eusthenopteron foordi, le prince de Miguasha. Ce poisson fossile, en raison de ses caractéristiques anatomiques, telle l’ossature interne de ses nageoires paires étonnamment similaire à celles des tétrapodes, servira tout au long du XXe siècle de référence dans les scénarios évolutifs expliquant la transition de la nageoire aquatique à la patte terrestre.
Mais à Eusthenopteron viendra s’ajouter une autre espèce capitale en lien avec nos origines, une forme auréolée de mystère. La découverte de cette nouvelle espèce remonte à 1937 alors que les paléontologues britanniques Graham-Smith et Westoll, en mission à Miguasha, font l’acquisition auprès d’un collectionneur local d’un fragment de crâne appartenant à une espèce alors inconnue. Dans sa publication de 1938, Westoll décrit cette espèce comme étant un véritable tétrapode dévonien, indiquant avoir découvert à Miguasha la première forme dans l’évolution de ce groupe! Il nomme l’espèce Elpistostege watsoni, soit « elpistos » pour « espoir» et « stegi » pour « voûte » ou « toit crânien », en référence aux tétrapodes, voulant souligner par ce fait qu’il vient de mettre la main sur le « crâne tant espéré », celui de notre plus ancien parent terrestre. Mais, exception faite de la petite fraction de crâne retrouvée alors, l’anatomie d’Elpistostege est à l’époque une énigme complète.
Dans les décennies qui vont suivre, seuls deux autres fragments associés à cette espèce, soit un morceau de crâne et un autre du squelette post-crânien, vont venir enrichir la collection du musée d’histoire naturelle de Miguasha. Sur la base de ces quelques fragments, la recherche a permis de découvrir qu’Elpistostege n’était pas un tétrapode mais plutôt un poisson étroitement apparenté à eux, davantage encore qu’Eusthenopteron. Cependant, l’anatomie complète d’Elpistostege restait inconnue. Mystère anatomique, extrême rareté et importance évolutive, tous ces facteurs ont contribué au fil de temps à faire d’Elpistostege la quête ultime à Miguasha, source de bien des discussions animées avec les visiteurs et fantasme avoué des employés du parc…
Vive le roi Elpi!
C’est dans ce contexte que, le 4 août 2010, le garde-parc patrouilleur Benoît Cantin a localisé un spécimen unique en son genre dans une strate affleurant au niveau de la plage. Ce jour-là, lors de sa patrouille, Benoît a en effet repéré un fossile faisant 1,6 m de longueur, soit le plus gros spécimen jamais découvert sur le site de Miguasha. Mais, surtout, il a ouvert sans le savoir un chapitre marquant dans l’histoire du site.
C’est une fois le spécimen extrait de son lit, rapporté au laboratoire et soumis au travail du technicien préparateur Jason Willett que toute la portée de cette découverte a commencé à émerger. Non seulement venait-on de découvrir du nouveau matériel d’Elpistostege watsoni mais également le tout premier spécimen complet jamais trouvé pour cette espèce. Ce faisant, ce spécimen devenait, à l’échelle mondiale, le tout premier fossile complet d’un représentant des elpistostégaliens, le groupe de poissons le plus apparenté aux tétrapodes. Au cours des prochaines années, avec la recherche, des informations cruciales, et jusqu’à maintenant inconnues sur la transition poissons-tétrapodes, deviendront accessibles avec ce spécimen et apporteront un éclairage critique sur la morphologie fonctionnelle, le mode de vie et le cadre paléoenvironnemental des proches parents des tétrapodes.
Un spécimen porteur d’avenir
L’étude de ce spécimen unique s’échelonnera sur des années et se déroulera dans le cadre d’une entente de partenariat avec l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et le Dr Richard Cloutier, paléontologue et professeur rattaché à cette institution. De plus, ces recherches impliqueront entre autres Isabelle Béchard, directrice scientifique du Centre de développement et de recherche en imagerie numérique (CDRIN), associé au cégep de Matane. L’étude se fera à la fois sur le fossile lui-même et sur les images obtenues par tomodensiométrie axiale (CT-scan) à l’Université du Texas (Austin, Texas).
Déjà, ce nouveau spécimen a révélé qu’Elpistostege possède, en termes anatomiques, presque tout l’attirail des tétrapodes avec des orbites sur le dessus d’un crâne aplati et allongé et bordées de bourrelets proéminents, un patron des os du toit crânien typique des premiers tétrapodes, des narines externes en marge de la mâchoire supérieure, une colonne vertébrale robuste et la disparition des nageoires dorsales et anale. Les appendices pairs d’Elpistostege présentent une ossature interne quasi identique à celle des tétrapodes mais sans la présence des doigts!
Des recherches préliminaires sur ce spécimen complet permettent de supposer qu’Elpistostege watsoni pourrait être le plus proche parent des tétrapodes, ce qui lui confère un positionnement unique dans la transition du milieu aquatique au milieu terrestre chez les vertébrés.
Une fierté à partager…
La découverte de ce spécimen est significative non seulement pour la renommée mondiale du parc mais aussi pour l’ensemble de la paléontologie des vertébrés. Au-delà du potentiel de recherche et de ses qualités paléontologiques uniques, ce spécimen est avant tout une source de fierté pour l’équipe du parc, l’ensemble du réseau Parcs Québec et les partenaires impliqués dans le projet. Une fierté à partager avec tous les Gaspésiens et Gaspésiennes, voire les Québécoises et les Québécois, de voir s’écrire une nouvelle page d’histoire de l’évolution de la vie sur Terre. Dès l’été 2014, cette fierté sera étendue à tous les visiteurs qui se présenteront au parc national de Miguasha et auront la chance d’être les premiers à découvrir la mise en valeur de ce spécimen unique au monde.
Pour de plus amples informations :
Reportage à l’émission Découverte (3 novembre 2013) :
http://www.radio-canada.ca/emissions/decouverte/2013-2014/Reportage.asp?idDoc=318666
Reportage à l’émission Les années lumières (« Le piéton originel? », 3 novembre 2013):
http://www.radio-canada.ca/radio/lumiere/
Page Facebook du parc national de Miguasha : https://www.facebook.com/parcnationaldemiguasha
Olivier Matton est coresponsable du service de la conservation et de la recherche au parc national de Miguasha, matton.olivier@sepaq.com
Paul Lemieux est responsable du service à la clientèle au parc national de Miguasha, lemieux.paul@sepaq.com
Photos: Johanne Kerr, parc national de Miguasha; Olivier Matton, parc national de Miguasha; François Miville-Deschênes.