Les coulisses de la création d'un parc

La création d’un parc national se réalise rarement sur des territoires inoccupés. D’abondantes espèces floristiques et fauniques sont déjà sur place. De plus, la présence humaine, actuelle et passée, a contribué à façonner les paysages de ce territoire. Pour s’assurer de bien conserver les richesses naturelles et culturelles en cause, il faut les connaître. Bienvenue dans les coulisses de l’ouverture du parc national d’Opémican.

Parc national d'Opémican Parc national d'Opémican
Parc national d'Opémican Ambroise Lycke | © Sépaq

La restauration de l’auberge Jodoin de la pointe Opémican allait de soi. Ce joyau patrimonial, construit en 1883 pour accueillir des voyageurs et des colons, constitue le troisième bâtiment en importance de l’Abitibi-Témiscamingue quant à son âge. Le hic? Il héberge toujours un visiteur. Et pas le moindre : le martinet ramoneur.

Les trois vieilles cheminées en pierre de l’ancienne auberge constituent d’excellents sites de nidification pour cet oiseau protégé en vertu de la Loi sur les espèces en péril. « Malgré les travaux, on veut s’assurer de ne pas nuire à l’espèce », indique Ambroise Lycke, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national d’Opémican. Le gouvernement fédéral évalue que la population de martinets ramoneurs a diminué de 95 % au Canada entre 1968 et 2004. Ce déclin est en grande partie attribué à la disparition des sites de nidification, tels que les arbres creux, de moins en moins nombreux avec le déboisement pratiqué au cours des derniers siècles. De même, les cheminées traditionnelles en pierre laissent habituellement place à des cheminées modernes, aux parois de métal, au diamètre plus petit et à l’ouverture obstruée par un chapeau, qui les rendent beaucoup moins intéressantes pour l’oiseau.

« Sans la restauration de l’auberge, ces vieilles cheminées se seraient dégradées à terme, privant les martinets de leurs précieux abris », confie-t-il. Le parc a ainsi mis en place une série de mesures strictes afin de maintenir la présence durable des oiseaux tout en assurant la restauration de l’auberge en dehors de la période de nidification de l’espèce. De plus, toutes les réparations devront conserver l’intérieur des cheminées intact pour qu’elles demeurent propices à leur venue.

Conserver une richesse exceptionnelle

Cette situation illustre les défis que le biologiste de formation doit relever, alors qu’il s’occupe depuis deux ans du volet de conservation dans la mise sur pied d’un tout nouveau parc national, celui d’Opémican. « On veut le rendre accessible aux visiteurs, explique Ambroise Lycke. On aménage des infrastructures qui vont permettre de les accueillir, puis de leur faire découvrir et vivre ces lieux exceptionnels. Mais en même temps, on veut préserver ces milieux naturels. » 

Afin de donner un avant-goût aux amateurs de plein air, l’équipe du parc a rendu accessible en 2018 le secteur de la rivière Kipawa, permettant d’admirer une chute spectaculaire et de camper au haut de parois vertigineuses. L’ouverture complète du parc est prévue pour l’été 2019, alors que la pointe Opémican accueillera ses premiers visiteurs. Les bâtiments administratifs, le centre de services, un camping, un circuit patrimonial et plusieurs infrastructures seront concentrés à cet endroit.

Bordé par deux majestueux plans d’eau, les lacs Témiscamingue et Kipawa, ce parc possède une biodiversité exceptionnelle puisqu’il se situe dans une zone de transition entre la forêt feuillue et la forêt boréale mixte. Des pins blancs et rouges y côtoient des érablières matures. Outre le martinet ramoneur, le parc abrite d’autres espèces en situation précaire, dont l’esturgeon jaune, la chauve-souris cendrée et le faucon pèlerin. De plus, l’occupation autochtone et le passé industriel y ont laissé un patrimoine culturel riche qui mérite d’être préservé et mis en valeur.

Parc national d'Opémican
Parc national d'Opémican Ambroise Lycke | © Sépaq
Parc national d'Opémican
Parc national d'Opémican Ambroise Lycke | © Sépaq

Un vaste défi

Pour bien orienter les démarches de conservation, il reste beaucoup à découvrir. En 2011, alors que le parc national d’Opémican n’en était qu’au stade de projet, le Service des parcs du gouvernement du Québec avait publié un état des connaissances, qui dressait un portrait socioéconomique, physique, biologique et archéologique du territoire. L’information collectée et compilée a servi à établir, dans un plan directeur, des balises aidant à déterminer les lieux où il serait possible d’aménager les infrastructures du parc tout en réduisant les perturbations sur les écosystèmes.

« On a des connaissances de base issues de cette démarche, mais cette information n’est pas complète et s’applique à une échelle très large », nuance Ambroise Lycke. Lorsque la Sépaq a pris le relais pour achever le travail, il a été nécessaire de préciser cette vue d’ensemble. « Si l’on veut développer un secteur spécifique, il faut aller chercher les connaissances fines sur le territoire pour s’assurer de ne pas compromettre le milieu. »

Cette approche n’est pas unique au parc national d’Opémican : lorsqu’un nouvel aménagement, comme un sentier ou un camping, est planifié dans un parc national, le service de la conservation et de l’éducation réalise en premier lieu une caractérisation environnementale pour s’assurer que le projet n’hypothéquera pas les richesses du milieu.

« Pour Opémican, le volume d’aménagements est grand. Tout est à faire! », s’exclame Ambroise Lycke. Le territoire est vaste – 252,5 kilomètres carrés – et les connaissances actuelles sont limitées ». Heureusement, le parc peut bénéficier de l’expertise acquise au sein du réseau des parcs nationaux de la Sépaq pour relever le défi. « Ces caractérisations sont primordiales pour nous, insiste Ambroise Lycke. Un mauvais choix pourrait nous suivre pendant toute l’existence du parc ». La prudence est donc de mise dans l’aménagement, car des actions involontaires pourraient avoir un effet irréversible sur des milieux naturels, comme la destruction d’un habitat unique ou d’une population d’espèces rares.

Quand la décontamination mène à des découvertes archéologiques

Autrefois, des humains ont laissé des traces indésirables à cet endroit. Pendant près de 100 ans, le site du Poste de relais pour le flottage du bois d’Opémican a été la plaque tournante de la drave dans la région. Ce passé industriel a mené à sa désignation comme site historique classé en 1983, mais a causé la pollution de la baie d’Opémican, principalement sous la forme d’hydrocarbures et de métaux lourds. Comme la Sépaq a reçu le mandat de mettre en valeur ce site historique, sa décontamination devenait essentielle. Les sondages ont entre autres permis d’établir le type de contaminants, leur localisation, leur étendue et les méthodes d’intervention pour rétablir la situation.

« Durant tous les travaux de décontamination terrestre, une équipe d’archéologues suivait de près tous les travaux », raconte Ambroise Lycke. Des évaluations préliminaires ont d’abord confirmé la probabilité de trouver dans le sous-sol des artéfacts autochtones. En effet, des pointes de flèche, des bifaces et des éclats de taille de pierre ont ensuite été déterrés, ainsi que de nombreux objets plus récents comme des chaudières à vapeur, des outils et des chaînes d’amarrage. « Ce sont de belles surprises qui pourront ensuite être présentées aux visiteurs dans le circuit patrimonial du parc », indique-t-il.

Le parc national d’Opémican sera donc bientôt prêt à révéler de nouveaux trésors et à offrir un environnement bien préservé, tant pour ses visiteurs humains que pour ses résidents du règne animal!

Ne pas déranger le faucon pèlerin

Le martinet ramoneur n’est pas la seule espèce d’oiseau qui pose un défi pour l’aménagement des infrastructures du parc : le faucon pèlerin niche sur plusieurs parois à proximité de certaines d’entre elles. Après avoir frôlé la disparition au XXe siècle, cette espèce a vu sa situation s’améliorer, mais elle reste toujours désignée comme vulnérable par le gouvernement du Québec. L’oiseau est particulièrement sensible aux dérangements d’origine humaine, par exemple aux travaux de construction, mais également au simple passage d’un randonneur à proximité de son nid. « On met en place des mesures de suivi serrées et adaptées pour ne pas lui nuire », assure Ambroise Lycke. Comme il est impossible de déplacer tant les faucons pèlerins que les bâtiments historiques, la planification des travaux a été modulée en fonction des périodes de nidification de l’espèce. De plus, les sites de nidification potentiels à proximité des sentiers pédestres sont suivis afin de mettre en place des mesures restrictives en cas de présence de faucons dans le secteur.

Une meilleure gestion de la pêche

Avec la création du parc national d’Opémican, une gestion fine de la pêche est dorénavant effectuée sur ce territoire. Auparavant, les pêcheurs pouvaient ensemencer à leur guise, et la pression de leur activité dans chacun des lacs était inconnue. « On devait remédier à la situation », soulève Ambroise Lycke. La création du parc a mis fin aux activités d’ensemencement, et les pêcheurs doivent désormais déclarer leurs prises sur un formulaire. Un programme d’acquisition de connaissances est réalisé en partenariat avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) pour étudier les stocks de poissons. L’information sera jumelée avec les prises mentionnées par les pêcheurs afin de mieux cibler les mesures de gestion nécessaires pour assurer la santé des lacs.

Bulletin de conservation 2019

Cet article fait partie de l'édition 2019 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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