Suivre l’étoile

Rencontre avec David Saint-Jacques

Astronaute de l’Agence spatiale canadienne

Par Karina Durand

Pour nourrir son désir d’explorer de nouveaux horizons, l’astronaute de l’Agence spatiale canadienne (ASC) David Saint-Jacques aime s’exposer à la force brute des éléments. Alpinisme, ski, voile, longue randonnée, vélo et grandes expéditions : l’aventure lui coule dans les veines. Il l’avoue avec un sourire dans la voix, la moindre odeur de conifères éveille le coureur des bois qui sommeille en lui et c’est entouré de nature sauvage qu’il se sent le plus « vivant ».

Mais ce grand adepte de plein air a une vision du monde différente depuis qu’il a vu de ses propres yeux la Terre flotter gracieusement dans le noir absolu de l’espace. Cette image saisissante, d’une beauté inouïe, est gravée à jamais dans sa mémoire.

Dans une discussion passionnante, David Saint-Jacques nous parle de son expérience dans le cosmos, de la soif de savoir qui l’anime depuis toujours, de son amour profond pour notre planète bleue et de l’importance de poursuivre nos rêves les plus fous.

© Allison Bills/NASA

Un voyage transformateur

Le 3 décembre 2018, David Saint-Jacques monte à bord de la fusée Soyouz, prêt à s’arracher à l’atmosphère terrestre et à être propulsé dans le Cosmos. Il s’envole alors vers la Station spatiale internationale (SSI) pour une mission scientifique de 204 jours. Il détiendra ensuite le record canadien du vol spatial le plus long.

Pendant son séjour en orbite, David Saint-Jacques a pu observer la Terre sous tous ses angles, non seulement par la coupole de la Station spatiale, mais aussi par la visière de son scaphandre, lors d’une sortie dans l’espace d’un peu plus de six heures, l’une des expériences les plus extraordinaires qu’un être humain puisse vivre.

© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA

Est-ce qu’on revient différent d’un tel voyage? Quand on lui pose la question, David Saint-Jacques le confirme sans hésiter. Mais il avoue qu’il a tout de même été pris par surprise là-haut, malgré la longue préparation à laquelle il a été soumis.

C’est qu’apercevoir notre sphère terrestre flotter dans le vide spatial produit un effet très particulier sur l’esprit humain. Même si l’on en est conscient et qu’on l’a vu des centaines de fois en images, les astronautes sont unanimes : en être témoin est à la fois difficile à concevoir, étrange et déstabilisant.

« Voir la Terre exister ainsi au beau milieu du néant absolu, ça donne carrément le vertige, nous a expliqué David Saint-Jacques. D’abord, parce qu’elle est suspendue dans la noirceur totale, mais aussi parce que dans l’espace, tout est mort. Le Soleil, c’est une gigantesque boule de feu. La Lune, une immense roche inanimée. Les autres planètes qui gravitent autour sont des déserts désespérants. La Terre, elle respire. Elle brille. Elle est réellement vivante. Elle est unique et elle est parfaite. »

Selon David Saint-Jacques, observer notre planète depuis l’espace nous donne une nouvelle perspective sur notre existence. À ses yeux, la Terre est en quelque sorte un cadeau du destin, et parce que nous l’habitons, nous en sommes responsables. « Il faut absolument en prendre soin, ajoute-t-il, car de toute évidence, nous n’avons nulle part d’autre où aller. »

© Agence spatiale canadienne/NASA
The Overview Effect
© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA

La portée du génie humain

Le 24 juin 2019, David Saint-Jacques est parachuté à 30 000 km/h quelque part dans les steppes du Kazakhstan. Après plus de six mois passés en apesanteur, il revient sur terre émerveillé par la beauté de notre planète, mais aussi plus conscient de sa fragilité. Cela lui apparaît plus évident que jamais : les défis écologiques et géopolitiques qui sont devant nous sont immenses et très graves.

On peut s’imaginer qu’une telle prise de conscience s’accompagne d’un sentiment de désespoir, mais David Saint-Jacques nous assure le contraire. Participer à une mission spatiale lui a permis de réaliser plus concrètement l’ampleur du génie humain. S’ils mettent leur intelligence et leur créativité ensemble, croit-il, les êtres humains peuvent résoudre toutes les difficultés imaginables. La clé, selon lui, se trouve dans la collaboration internationale, une avenue en laquelle il a pleinement confiance.

« Nous sommes assurément capables d’aller au-delà de nos différences, de travailler main dans la main et de réaliser de très grandes choses ensemble. Les missions spatiales en sont la preuve vivante », affirme-t-il avec conviction.

Rappelons que la Station spatiale internationale est le fruit d’une collaboration entre une quinzaine de nations, entre autres les États-Unis, la Russie, le Japon, l’Allemagne et le Canada. Depuis sa construction en 1998, elle a été habitée en continu par des astronautes originaires de plus de 20 pays.

© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA

L’amour de la connaissance

Comme tous les astronautes accomplis, David Saint-Jacques a une feuille de route impressionnante. Il est ingénieur, astrophysicien, médecin de famille et spécialiste des soins de première ligne en région éloignée. Il maîtrise plusieurs langues, dont le russe, l’espagnol et le japonais, en plus de parler couramment le français et l’anglais. Tandis que la liste de ses compétences techniques est longue, celle des prestigieux honneurs reçus au cours de sa vie est spectaculaire.

En 2009, après un processus rigoureux auquel participent plus de 5 000 candidats et candidates, il est nommé astronaute par l’Agence spatiale canadienne. Il réalise alors son plus grand rêve.

Enfant, David Saint-Jacques croit pourtant que devenir astronaute est impossible. Malgré tout, il s’inspire de la culture d’excellence de ces brillants scientifiques qu’il admire et prend pour modèles. Doté lui-même d’une grande rigueur intellectuelle et d’une capacité de concentration hors du commun, il lit énormément et s’efforce de « tout comprendre ».

Avec l’imposant bagage de connaissances qu’il possède aujourd’hui, on peut se demander s’il est toujours pourvu de la même curiosité insatiable.

« Le savoir, réplique-t-il, c’est comme une sphère qui s’agrandit de façon exponentielle. Plus tu es éduqué, plus tu comprends le monde. Mais plus tu approfondis tes connaissances, plus tu réalises qu’au fond, il y a énormément de choses que tu ne comprends pas. Alors la soif de savoir, elle est infinie. Mais c’est une quête qui se transforme au fil du temps. »

Plus jeune, David Saint-Jacques était captivé par le fonctionnement des choses, par leur aspect mécanique. Il s’est ensuite investi dans les sciences de la nature et s’est plongé dans les grandes théories des fondements de l’Univers. Puis, doucement, l’humain s’est placé au centre de ses réflexions. Aujourd’hui âgé de 54 ans, le papa de 3 enfants a des champs d’intérêt bien différents.

« En vieillissant, je m’interroge beaucoup plus sur mon rôle comme père de famille, comme conjoint, comme ami et fils de quelqu’un. Mais je m’intéresse aussi à mes responsabilités comme citoyen et comme être humain, confie-t-il. La grande question qui me fascine le plus maintenant, c’est celle du sens de la vie. »

© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA

Au cœur de l’aventure : l’humain

Pour devenir astronaute, il faut aimer les sensations fortes. Et ça tombe bien, car David Saint-Jacques carbure à l’adrénaline. Avant de prendre part à la mission spatiale Expedition 58, il s’est préparé pendant plusieurs années, repoussant ses limites petit à petit.

Lorsqu’ils s’entrainent, les astronautes sortent constamment de leur zone de confort. Ils travaillent leur endurance physique, s’exercent à prendre des décisions sous pression et à se débrouiller avec peu d’équipement, dans toutes sortes de situations risquées où il y a beaucoup d’inconnu. Tout cela dans le but d’être prêts à relever l’un des défis les plus complexes qu’on puisse imaginer : se rendre dans l’espace et y vivre pendant plusieurs mois.

Mais de quelles nouvelles aventures rêvent les astronautes une fois retombés les deux pieds sur terre?

« C’est vrai qu’aller dans l’espace, c’est une chance incroyable. Mais il faut dire que c’est hyper difficile, pour toutes les raisons que l’on s’imagine. C’est très intense et c’est dangereux. C’est un immense challenge d’équipe, qui n’est possible que grâce au travail colossal de milliers de personnes créatives et dévouées. »

Ce que nous dit David Saint-Jacques, c’est que les expéditions extrêmes et les voyages d’exploration sont d’abord et avant tout des expériences humaines, qu’ils aient lieu dans l’espace ou ailleurs sur terre. Quand on se lance dans un tel projet, il faut faire confiance aux autres, communiquer efficacement, s’épauler, s’accommoder aux différentes situations et surtout, s’autogérer. Car partir à l’aventure, c’est aussi une expérience avec soi-même.

« Aller dans l’espace a été pour moi une occasion d’observer la condition humaine, mais aussi d’apprendre à mieux me connaître et de comprendre un peu plus qui je suis. Étonnamment, me rendre à 400 kilomètres de la sphère terrestre aura été pour moi un grand voyage intérieur », se remémore-t-il.

Ainsi, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour se livrer à une telle introspection. Tous les voyages d’exploration en petit groupe nous amènent le même genre de défis à surmonter. C’est pourquoi les astronautes s’entrainent beaucoup lors d’expéditions en pleine nature.

Contempler la Terre depuis l’espace a aussi donné l’envie à David Saint-Jacques d’y redescendre pour continuer de découvrir les paysages merveilleux qu’elle recèle. Des océans aux déserts, en passant par les forêts boréales, les jungles et les glaciers, notre planète nous offre une infinité de joyaux à explorer, insiste-t-il.

© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA

Connecter à la nature… dans l’espace

Station spatiale internationale
© Agence spatiale canadienne/NASA

Rien n’interpelle plus David Saint-Jacques que le chant d’une rivière qui coule ou la lueur d’un feu de camp qui brille dans la nuit. L’amour de la nature et des grands espaces fait partie de son ADN. Enfant, son père l’amenait en ski hors-piste dans les montagnes enneigées, aux alentours de Sutton. Ces sorties d’exploration en forêt lui procuraient un immense bonheur dont il se souvient encore.

Le plein air est une passion qu’il partage aujourd’hui avec sa conjointe, Véronique, et qu’ils essaient de transmettre à leurs trois enfants, Pierre, Léon et Sophie. Jouer dehors est ancré dans leur mode de vie. C’est pourquoi quand il est parti en mission spatiale, David Saint-Jacques s’attendait à souffrir, là-haut, du manque de contact avec la nature.

Il faut dire que l’espace est un lieu très hostile. Pour permettre aux astronautes d’y vivre pendant de longues périodes, il a fallu faire preuve de beaucoup d’imagination. Dans la Station spatiale internationale, tout est complètement artificiel, y compris l’air et l’eau. On s’imagine que confiné ainsi dans ce laboratoire en orbite, l’être humain se sent bien loin de son habitat naturel. Pourtant, David Saint-Jacques affirme plutôt y avoir vécu une expérience de connexion profonde à la biosphère.

« Apercevoir la Terre depuis l’espace nous donne la plus grande perspective possible sur notre monde. Le sentiment d’exaltation que cela procure est semblable à celui qu’on ressent lorsqu’on contemple la vue au sommet d’une montagne. C’est tout à fait paradoxal, mais dans l’espace, j’ai eu l’impression d’avoir un contact très intime avec la nature », témoigne-t-il.

Suivre l’étoile

David Saint-Jacques fait partie de ces personnes d’exception avec qui partager un moment est un privilège qu’on savoure. Partout où il passe, son intelligence prodigieuse fascine, tandis que la liste de ses accomplissements impose le respect. Mais de toutes ses qualités remarquables, c’est peut-être sa grandeur d’esprit qui lui vaut le plus d’admiration.

« Il faut croire en ses rêves les plus fous, nous dit-il, et il ne faut surtout pas s’en faire si on ne les atteint pas. Comme l’étoile Polaire montre le nord, les rêves sont des repères. Ils nous guident et nous font avancer dans la bonne direction. »

David Saint-Jacques nous rappelle ainsi que rêver est un verbe d’action et que c’est le point de départ de tous les grands exploits, y compris des progrès de la civilisation. Après tout, c’est en admirant la voûte céleste qu’on a construit les premières fusées, et c’est grâce aux missions lunaires qu’un jour, on se posera sur Mars.

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Merci à l'Agence Spatiale Canadienne et à la photographe de la NASA Allison Bills pour leur précieuse collaboration.

© Agence spatiale canadienne/NASA
© Agence spatiale canadienne/NASA

Karina Durand

À propos de Karina Durand

À part marcher seule en forêt, Karina aime lancer sa ligne à l’eau, griller des saucisses à hot-dog sur les braises d’un feu de camp, lire au bout d’un quai et se baigner dans un lac quand il pleut. Elle pilote la stratégie de contenu de la Sépaq depuis 2017.

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