Processus créatif

L’impact de la nature sur le cerveau

Fernanda Pérez-Gay Juárez a obtenu un doctorat en médecine, à Mexico, en 2013. Dès son arrivée à Montréal, elle a poursuivi un doctorat en neurosciences cognitives à l’Université McGill où elle agit maintenant en tant que chercheuse et vulgarisatrice scientifique. Passionnée par la santé mentale, elle s’intéresse notamment au potentiel transformateur des pratiques artistiques, soit la capacité des arts à générer des états émotionnels et cognitifs qui jouent un rôle central dans nos vies.

La chercheuse postdoctorale a eu la gentillesse de répondre à nos questions et de nous livrer les secrets de l’influence de la nature sur le cerveau et le processus créatif. Poursuivez votre lecture pour découvrir les mécanismes neuronaux qui font écho au chant des oiseaux.

Parc national du Mont-Orford Parc national du Mont-Orford
Parc national du Mont-Orford Mikaël Rondeau | © Sépaq

Qu’est-ce que la nature provoque dans le corps humain?

Passer du temps en forêt a un effet apaisant sur le corps et l’esprit. Depuis plusieurs années, la recherche tente d’en mesurer les impacts positifs et de comprendre comment elle réduit notre réaction instinctive de combat ou de fuite, aussi appelée fight of flight response.

Or, c’est bien connu, l’exposition à la nature permet de réduire le stress. « Concrètement, cela se manifeste par la diminution du rythme cardiaque, de la pression artérielle et des hormones de stress, comme le cortisol », souligne la Dre Pérez-Gay Juárez. De plus, être en contact avec la forêt augmente les émotions positives – ce qui nous rend plus calmes – et diminue les émotions négatives, telles que la peur.

Une balade en nature aurait aussi pour effet de restaurer l’attention. Prenons un exemple : imaginez-vous en plein centre-ville, bombardé de bruits et de lumières, essayant de retenir toute l’information qui vous parvient? Parions que votre cerveau sera sursaturé de stimuli et qu’il manquera de ressources pour traiter les choses qui sont réellement importantes.

À l’inverse, contempler la nature sans fournir d’efforts implique une attention involontaire. C’est ce que l’on appelle la « fascination douce ». Lorsque l’esprit vagabonde, il choisit librement les stimuli auxquels être attentif : les feuilles qui bougent, le son d’un ruisseau, le chant des oiseaux, etc. Ce faisant, il permet aux mécanismes volontaires de l’attention et au système nerveux de récupérer. Loin des préoccupations quotidiennes et du brouhaha de la ville, notre cerveau prend des vacances ce qui améliore la santé mentale, les capacités cognitives, la mémoire et la concentration.

Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie Mikaël Rondeau | © Sépaq
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie Mikaël Rondeau | © Sépaq

Quels sont les processus cérébraux impliqués dans la créativité?

D’abord, la Dre Pérez-Gay Juárez précise qu’il n’y a pas qu’une seule partie du cerveau impliquée dans la créativité. Il s’agit d’un processus qui nécessite l’interconnexion de plusieurs réseaux cérébraux, soit un groupe d’aires cérébrales qui se connectent pour former des comportements complexes, comme observer un paysage, réfléchir durant une partie d’échecs ou décider de traverser une rue. Selon les recherches de Roger Beaty de l’Université Harvard, trois réseaux principaux y jouent un rôle.

1. Le réseau par défaut ou réseau de l’imagination

Lorsque l’esprit vagabonde librement, sans but précis, les régions cérébrales du réseau par défaut deviennent plus actives que lorsque nous sommes engagés dans une tâche spécifique. C’est ce qui se produit quand on se promène en forêt et que de nouvelles idées émergent naturellement, sans que ce soit forcé.

2. Le réseau de l’attention ou réseau exécutif

Ce réseau s’active lorsque l’on veut se concentrer sur une tâche spécifique. C’est ce qui se passe quand on se trouve au bureau et que l’on doit rédiger un rapport, par exemple. Le seul hic : l’idée ou la solution que l’on recherche ne vient pas toujours au moment souhaité.

3. Le réseau de saillance

Ce réseau joue un rôle particulier dans le processus créatif. Il détecte les pensées importantes, nouvelles ou hors de l’ordinaire qui proviennent du réseau par défaut, puis les dirige vers le réseau de l’attention afin de les évaluer et de les exécuter.

Selon les recherches de Roger Beaty, plus une personne est créative, plus les trois réseaux communiquent entre eux. L’émergence de solutions concrètes – ou le fameux « moment Eureka » – se produirait donc lorsque ces zones travaillent ensemble.

En outre, un environnement paisible favoriserait l’activation du réseau par défaut, tout en diminuant l’activité du réseau de l’attention. Cela permettrait aux nouvelles idées de surgir naturellement et parfois même – pour les plus chanceux d’entre nous – de créer le « moment Eureka ». C’est pourquoi les meilleures solutions émergent souvent durant une promenade en plein air ou sous la douche.

Banc sur le bord de l'eau

Comment la nature influence-t-elle le processus créatif?

La créativité joue un rôle crucial dans plusieurs sphères de notre vie. Elle est associée à divers aspects, tels que la résolution de problèmes, la réussite scolaire, le succès professionnel et la capacité à nous adapter à notre milieu.

Selon la Dre Pérez-Gay Juárez, deux théories peuvent expliquer l’influence de la nature sur le processus créatif. Tout d’abord, la théorie de la restauration de l’attention de Kaplan qui suggère que passer du temps dans un environnement naturel permet au cerveau de se reposer de la fatigue mentale causée par l’attention dirigée. La notion de « fascination douce » est importante ici, car l’attrait que nous ressentons envers les environnements esthétiquement plaisants se fait sans aucun effort. Loin des préoccupations quotidiennes et de la surstimulation qu’on expérimente souvent en ville, notre esprit se libère, ce qui favorise l’émergence et l’évaluation de nouvelles idées, un aspect fondamental de la créativité.

Ensuite, il y a la théorie du vagabondage de l’esprit, associée au réseau par défaut dont on a parlé précédemment. Celle-ci implique le découplage de l’attention, soit la capacité de faire abstraction des stimuli externes afin de permettre aux pensées de circuler librement, à l’intérieur de soi, pour créer des associations inédites.
La Dre Pérez-Gay Juárez explique que les activités en forêt favorisent ces deux processus complémentaires. « Lors d’expériences en nature, les individus peuvent alterner les périodes de fascination douce et le divagage de l’esprit. L’attention est d’abord attirée par des aspects fascinants de la nature, puis libre de vagabonder vers l’intérieur par la suite », décrit-elle.

Résultat? Lorsque nous sommes en contact avec la végétation, les deux processus se produisent simultanément. Grâce à cette synergie, notre cerveau restaure ses ressources attentionnelles tout en générant de nouvelles idées.

La nature qui inspire

Selon la chercheuse, le concept de pensées divergentes est un élément clé : une pensée en amenant une autre, puis une autre, favorisant ainsi la créativité. « Le fait de se retrouver en plein air ou de s’adonner à des activités artistiques encourage cette exploration du cerveau. Que ce soit en réalisant plusieurs versions d’un dessin ou en dansant sans retenue, notre créativité peut s’exprimer librement, sans être en mode solution », résume la chercheuse.

En outre, cette capacité à innover ne se limite pas exclusivement aux artistes. Médecine, sciences et technologies : la créativité est partout! Elle est omniprésente et accessible à tous, il suffit de prendre le temps et de se donner l’espace nécessaire pour la libérer. Et c’est précisément ce que permet une randonnée ou une retraite en nature.

Karina Durand

À propos de Fernanda Pérez-Gay Juárez

Fernanda Pérez-Gay Juarez, médecin diplômée au Mexique, a entrepris un doctorat en neurosciences cognitives à l'Université McGill. En tant que chercheuse postdoctorale et vulgarisatrice scientifique, elle s’intéresse aux liens entre l'art, les neurosciences et le bien-être, tout en se préparant à entamer une résidence en psychiatrie à partir de juillet 2024 à l’Université McGill.

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