Conciliation travail‑nature

Quand le bureau se transporte en plein air

Par Jean‑Sébastien Massicotte

À l’ère du télétravail, la prochaine révolution dans l’univers professionnel se fera peut‑être dans une forêt près de chez vous. La question est soulevée par de plus en plus de spécialistes, de patrons et d’employés : travailler serait‑il plus agréable, voire plus efficace lorsqu’on le fait en nature?

Parc national de la Jacques-Cartier Parc national de la Jacques-Cartier
Parc national de la Jacques-Cartier Charles Boutin | © Sépaq

Pour Hélène Philion, la réponse est une évidence depuis longtemps. La spécialiste en développement territorial se déplace fréquemment pour accomplir ses fonctions, mais tente de profiter au maximum du grand air, même lorsqu’elle travaille de la maison. « J’organise mon emploi du temps en fonction de la météo », lance d’emblée la grande sportive qui débute souvent ses journées par l’ascension du mont Orford avec son chien.

En ce qui la concerne, c’est devenu un véritable mode de vie. Elle profite de chaque occasion pour jumeler travail et plein air. « Pour moi, c’est naturel. Si j’attends un appel, je mets mes écouteurs et je pars en kayak au lieu de rester à mon bureau. » Et quand son cellulaire sonne, Hélène Philion s’arrête dans un coin tranquille pour travailler : « Je n’ai pas un faux fond d’écran derrière moi. J’ai le plus beau bureau! »

La travailleuse sociale Laura Ducharme apprécie également ses « bureaux » en nature. « Pour moi, c’est la meilleure façon de travailler », souligne la fondatrice de MAÏKANA, une organisation étendue à travers le Québec qui vise à optimiser le potentiel et la santé mentale de chaque personne par la nature et l’aventure. La jeune femme connaît donc parfaitement les bienfaits du télétravail au grand air.

Bien qu’elle ait un bureau intérieur, elle préfère de loin celui situé sur sa terrasse qui offre une vue sur le fjord du Saguenay, à Sainte‑Rose‑du‑Nord où elle vient récemment d’emménager. « J’y suis plus concentrée et je n’ai pas l’impression de travailler. Mon cerveau fonctionne différemment. Je suis plus créative, plus performante! »

La spécialiste rappelle d’ailleurs que diverses études ont mesuré la baisse des indices de stress par le simple contact avec la nature. Qu’il soit question de télétravailler dans un chalet, sur le bord d’un cours d’eau ou encore dans un parc, on constate de nombreux avantages.

« Aujourd’hui, ce n’est pas seulement toléré, c’est envié », assure Hélène Philion. « C’est vers là qu’on devrait aller », estime‑t‑elle. Pour la consultante, il n’y a aucun doute : quatre heures de travail en nature sont largement plus productives que huit heures dans un bureau sous les néons.

Réserve faunique des Laurentides
Réserve faunique des Laurentides Charles Boutin | © Sépaq
Parc national du Fjord-du-Saguenay
Parc national du Fjord-du-Saguenay Paul Dussault | © Sépaq

Un guide à suivre

Le phénomène est suffisamment important pour qu’un nombre croissant d’organisations s’y attardent. Certaines se dotent même d’une politique de « tracances », soit la contraction entre « travail » et « vacances ».

Valérie Beaudoin‑Carle, stratège numérique, a coécrit celle d'une firme‑conseil dans le domaine des communications, des affaires publiques et des relations gouvernementales. Fruit de la réflexion des membres de l’équipe dispersés au Québec et à l’étranger, la Politique sur le travail hors de son cadre habituel donne les pistes à suivre dans l’art du télétravail en étant plus ou moins loin de la maison.

D’abord, il faut considérer l’accès à un réseau Wi‑Fi ou cellulaire performant, rapide et sécuritaire. Si ce n’est pas possible, il faut organiser ses activités en conséquence et planifier du travail déconnecté, ce qui peut parfois être un avantage pour être plus concentré et créatif. 

« Pour moi, télétravailler ne veut pas dire être toujours connecté », précise Mathieu Brunet, expert‑conseil en développement stratégique dans les domaines du plein air et du tourisme. « Des fois, il suffit d’envoyer des documents ou des courriels à la fin de la journée », ajoute‑t‑il.

Il souligne d’ailleurs que de plus en plus de solutions technologiques existent pour se connecter au reste du monde, même hors des sentiers battus. Internet par satellite, Wi‑Fi offert dans les aires communes des campings, couverture cellulaire étendue : « Les outils se mettent en place, même s’il reste encore du travail à faire pour que ce soit parfait », juge‑t‑il.

Une vitesse de transmission des données insuffisante ou un réseau Wi‑Fi trop sollicité par rapport à ses capacités sont toutefois des problèmes à surveiller.

Parc national de la Gaspésie
Parc national de la Gaspésie Jean-Sébastien Chartier-Plante | © Sépaq
Station touristique Duchesnay
Station touristique Duchesnay Charles Boutin | © Sépaq

La clé : bien communiquer 

Pour Valérie Beaudoin‑Carle, une grande partie de la réussite du télétravail en nature est de savoir bien communiquer la marche à suivre, tant avec ses collègues que ses clients. Au besoin, on ajuste les attentes selon le rythme et les possibilités du changement de lieu. Un bloc‑signature modifié, un courriel automatique et un message sur la boîte vocale précisant les détails pertinents font souvent des miracles!  

La sécurité est également un facteur à ne pas négliger. Vol, perte ou bris d’appareils, données personnelles ou confidentielles : il faut penser aux conséquences, mais surtout, aux solutions. Vaut‑il mieux apporter un deuxième ordinateur au cas où? Ai‑je besoin d’un point d’accès sécurisé par VPN? Est‑ce que je peux verrouiller mes équipements si je sors prendre l’air? Autant de questions qui nécessitent une bonne réflexion et un peu de planification avant de quitter le bureau.  

Dans la boîte où Valérie Beaudoin-Carle travaille, on demande aux employés de choisir des endroits de télétravail où certains services sont offerts dans un rayon raisonnable afin de simplifier la résolution de problèmes. Mais autrement, du moment que les mandats avancent, lendroit où le travail s’effectue importe peu. Patrons comme clients sen formalisent rarement, constate-t-elle. 

Parc national de la Jacques-Cartier
Parc national de la Jacques-Cartier Charles Boutin | © Sépaq
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie Mikaël Rondeau | © Sépaq

Un bureau… loin du bureau

Lorsqu’elle profite d’un moment de « tracances », Valérie Beaudoin‑Carle s’assure de pouvoir aménager un bureau physique à destination, question d’efficacité. « J’amène même un deuxième écran parce que j’aime travailler comme ça. » Un espace dédié au boulot sera d’autant plus important si le séjour est de longue durée ou s’il est réalisé en compagnie d’autres personnes, collègues ou amis.

La stratège considère également avec qui elle passera cette période de télétravail en villégiature, si elle n’est pas seule. Il peut parfois être difficile de résister aux tentations ou de rester dans sa bulle si les compagnons d’aventure ont un tout autre horaire ou qu’ils manquent de compréhension.

Mathieu Brunet n’hésite pas à camper sous la tente durant ses déplacements professionnels. La table de pique‑nique devient alors son poste de travail. Il cherche donc prioritairement les sites avec électricité pour alimenter ses équipements – un service essentiel qui est de plus en plus fréquent dans les campings, remarque‑t‑il.

« Pour moi, travailler ainsi c’est joindre l’utile à l’agréable », résume celui qui était auparavant directeur du parc national de la Jacques‑Cartier. Le télétravail en région sauvage est une bonne façon de s’isoler des distractions d’un cadre professionnel standard, mais aussi une source de motivation : se rapprocher des lieux et des activités de plein air qui le nourrissent.

Quoi de mieux pour un passionné de pêche à la mouche que de s’offrir un moment à taquiner le saumon en Gaspésie après quelques heures à rédiger un rapport? Si vous demandez à Mathieu Brunet, poser la question c’est y répondre…

Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie Mikaël Rondeau | © Sépaq
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie Mikaël Rondeau | © Sépaq

Travailler en randonnée

Télétravailler en nature, c’est surtout une autre façon de vivre sa vie professionnelle. Hélène Philion estime que ce n’est pas parce qu’on n’est pas assis devant un écran dans un bureau qu’on ne travaille pas pour autant.

« On sous‑estime cet effet, mais en randonnée, par exemple, le cerveau travaille tout le temps. Il s’oxygène. » La créativité se déploie en nature. Des solutions surgissent. « Le beau campus à la Google sous les néons, ce n’est plus ça la solution pour les travailleurs », tranche‑t‑elle.

À l’approche de la cinquantaine, Mathieu Brunet abonde dans le même sens : « À ce stade de notre vie professionnelle, on ne veut pas plus d’argent, on veut plus de temps. » Le télétravail en nature offre cet équilibre qui pourrait devenir une clé pour garder les employés heureux, croit‑il.

Car savoir qu’on peut aller pagayer, marcher ou faire de l’escalade à proximité après une période à faire avancer les dossiers offre une bonne dose de motivation. « Ça nous fait sentir en vacances sans vraiment l’être », illustre Valérie Beaudoin‑Carle.

Réserve faunique des Laurentides
Réserve faunique des Laurentides Charles Boutin | © Sépaq
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie
Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie Mikaël Rondeau | © Sépaq

Les essentiels du télétravailleur en nature

Équipements informatiques

Sur la route comme en nature, l’ordinateur portable est roi. Mais ça ne veut pas dire qu’un appareil de bureau n’a pas sa place dans certains contextes, comme en chalet. Simplifiez‑vous la vie avec des appareils performants et dotés d’une bonne autonomie. Informez‑vous sur l’accès, la puissance et la stabilité du réseau électrique. Multiprise protégée, écouteurs confortables, rallonge électrique et bloc‑pile adapté pour les recharges loin du réseau sont aussi essentiels.

Connexion

Tous les spécialistes questionnés le soulignent, la qualité du Wi‑Fi est l’aspect à ne pas négliger. Ainsi, il faut vérifier autant que possible les limites du réseau visité, idéalement avec des tests préalables. Comment se déroule une visioconférence avec un collègue? Sinon, consultez les avis partagés par les visiteurs du lieu en question pour avoir une meilleure idée de ce qui vous attend. Plan B : avoir accès à un réseau cellulaire en parallèle ou utiliser un système Internet par satellite comme Starlink, Strigo ou Iridium GO. Ces solutions assez récentes peuvent permettre de travailler à des endroits qui ne pourraient pas être envisagés autrement.

Bouffe et compagnie

Pour profiter de son séjour de travail en nature, il faut également penser aux autres essentiels : la nourriture, les vêtements de circonstance et les accessoires qui rendent le travail efficace. Si sortir de la routine est excitant, il faut quand même pouvoir répondre à ses besoins dans la simplicité. Le lavage des vêtements et la préparation des repas ne doivent pas devenir un défi ou un irritant; la présence de moustiques, une chaise inconfortable, le froid ou la pluie non plus! De la tente au chalet tout équipé, en passant par la van life ou le refuge en montagne, l’organisation d’un séjour de travail prendra ainsi différentes tournures, plus ou moins complexes.

Expérimenter

Comme pour bon nombre de nouvelles situations – en particulier en plein air –, il est recommandé d’expérimenter graduellement. Dans cette optique, Valérie Beaudoin‑Carle aime bien prendre la fin de semaine qui précède une période de télétravail sur la route pour s’installer dans son nouvel environnement. C’est une occasion de décompresser, mais aussi de tester calmement ses installations et son système informatique avant le lundi matin.

À considérer

  • Le télétravail en nature ne doit pas être un prétexte à la connexion à outrance, sans respect d’autrui. Gardez en tête que les autres visiteurs à proximité sont souvent en quête de calme et d’évasion. Discrétion et courtoisie sont deux mots d’ordre à retenir. « Pour profiter des bienfaits de la nature, il faut être en contact avec elle », résume la consultante Hélène Philion.
  • Pour tout le monde, le télétravail en nature? Selon les experts interrogés, ce n’est pas toujours le cas. Si l’organisation du télétravail à domicile est déjà difficile, il est fort probable qu’elle le soit davantage dans un lieu de villégiature. Testez à petites doses avant de vous lancer!
  • Qu’on se le dise, le télétravail en plein air, ce n’est pas des vacances! Il y a donc une distinction à faire et des limites à instaurer pour éviter qu’on ait l’impression de toujours être à l’ouvrage. « De vraies vacances doivent aussi être prises », insiste Valérie Beaudoin‑Carle. De son côté, la travailleuse sociale Laura Ducharme se réserve des lieux « intouchables » où elle n’apporte jamais son ordinateur. « C’est une façon d’établir une bonne frontière et de forcer la coupure entre la vie personnelle et professionnelle en nature », estime la fondatrice de MAÏKANA.

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