Blogue de conservation

Le vieillissement du marais de La Grande Baie; un phénomène accéléré?

27 août 2012


Le marais de La Grande Baie du parc national d’Oka a toujours été un écosystème caractérisé par sa richesse biologique : oiseaux, mammifères, reptiles, amphibiens, poissons et plantes occupent harmonieusement cet habitat. Toutefois, depuis quelques années, les inventaires réalisés par le parc et ses partenaires dévoilent un déclin chez quelques espèces d’oiseaux en situation précaire. Est-ce là l’effet d’une eutrophisation accélérée du marais?

Le marais de La Grande Baie

La Grande Baie, un marais d’environ 1,1 km2 situé à l’extrémité est du parc, est ouverte sur le lac des Deux Montagnes. On peut y accéder par le sentier de La Grande Baie qui mène à une tour d’observation et une passerelle flottante. Le niveau d’eau peu profond, estimé entre 10 à 100 cm de profondeur, et le substrat vaseux permettent la croissance d’espèces végétales flottantes et émergentes, comme la quenouille à feuilles étroites, présente en forte densité. En plus des poissons, mammifères, reptiles et amphibiens qui l’habitent, plus de 25 espèces aviaires caractéristiques des marais y sont observées en saison de nidification, comme le troglodyte et le bruant des marais, le grand héron, la guifette noire, le butor d’Amérique, le râle de Virginie, le canard branchu et plusieurs autres.

Un déclin chez les oiseaux du marais

Depuis 2004, le service de la conservation et de l’éducation du parc réalise le suivi du Programme de surveillance des marais. Ce projet d’acquisition de connaissances orchestré par Étude d’Oiseaux Canada a pour objectif d’inventorier et de caractériser les habitats des oiseaux de marais. Ce sont principalement huit espèces désignées prioritaires qui font l’objet d’un suivi : le grèbe à bec bigarré, le petit Blongios, le râle de Virginie, la marouette de Caroline, la gallinule poule-d’eau, la foulque d’Amérique, le butor d’Amérique et le râle jaune. Après huit années d’inventaires (2009 exclus), les données recueillies démontrent une constante : le nombre d’espèces prioritaires, leur abondance et le nombre d’espèces aviaires aquatiques (toutes confondues) sont en baisse (Figure 1). Depuis 2008, on observe rarement la gallinule poule-d’eau, la foulque d’Amérique, la marouette de Caroline et le petit Blongios. Quant aux populations de grèbe à bec bigarré, de râle de Virginie et de butor d’Amérique, elles sont stables. Le râle jaune n’a pas été observé lors de ce suivi. Cette constatation mène à s’interroger sur les causes de ce déclin. Est-ce là le symptôme d’une accélération de l’eutrophisation naturelle ou anthropique du marais?

L’eutrophisation est un phénomène naturel comparable au vieillissement. Ce processus se définit par un apport en nutriments organiques favorisant la croissance des plantes aquatiques et des algues, et ayant pour effet de modifier la quantité et la répartition des plantes aquatiques ainsi que la profondeur, la turbidité, l’oxygénation et la température de l’eau. L’homme peut accélérer l’eutrophisation avec un apport supplémentaire de nutriments, comme le phosphore, une entrave à la circulation de l’eau et une érosion des sols produite par ses activités agricoles et autres en amont des cours d’eau.

Figure 1. Tendance démographique de l'avifaune aquatique nicheuse du marais de La Grande Baie au parc national d'Oka suite aux recensements réalisés dans le cadre du Programme de surveillance des marais.

Des quenouilles moins envahissantes que l’on ne croyait

Pour expliquer ce déclin observé au marais de La Grande Baie, plusieurs hypothèses ont été formulées. La progression rapide des quenouilles ceinturant le marais semble réduire annuellement la superficie d’eau libre caractéristique de certains habitats vitaux pour les espèces mentionnées. Depuis la construction de la passerelle flottante en 1988, la superficie occupée par la ceinture de quenouilles a considérablement augmenté ce qui fait qu’en 2000, la passerelle a dû être déplacée. Cependant, l’interprétation de photos aériennes a réfuté cette hypothèse puisqu’entre 2005 et 2011, la superficie d’eau libre s’est étendue de 0,29 km2 à 0,31 km2. De plus, le niveau d’eau du lac des Deux Montagnes suit, depuis 1987, des fluctuations irrégulières qui ne peuvent être corrélées avec les résultats des inventaires d’oiseaux. À cet effet, le niveau d’eau de juin 2010 a été le plus bas et, cette année-là, plus d’espèces prioritaires et d’individus ont été recensés qu’en 2008, où le niveau d’eau était plus élevé de 91 cm.

Une densité étouffante

Par ailleurs, il est possible que les quenouilles se soient densifiées au fil des années. Les oiseaux ne fréquentant plus le marais recherchent une végétation aquatique clairsemée de zone d’eau libre dont la profondeur se situe entre 20 et 90 cm. L’interprétation de la photo aérienne de 2005 dévoile la présence de plusieurs zones d’eau libre parmi les colonies de quenouilles. En 2011, ces interstices sont moins présents. Une étude sur la dynamique végétale de ce marais est toutefois nécessaire pour confirmer cette tendance.

Envasement, sédimentation et réduction d’apport d’eau

La densification végétale du marais pourrait résulter de la sédimentation et de l’assèchement de son principal affluent, le ruisseau Rousse. Drainant les terres agricoles en amont du parc, ce ruisseau semble, à priori, s’être envasé depuis les dernières décennies. La photo-interprétation démontre une réduction de l’apport d’eau entre 1983 et 2012. Une portion de son apport a d’ailleurs dévié de sa trajectoire originale et se dirige désormais vers la rivière aux Serpents et le lac de la Sauvagine situés à l’ouest de La Grande Baie.

Un constat, des questions qui restent sans réponse…

Le constat de ce déclin démographique aviaire est récent et devient un enjeu préoccupant. Considérant l’état précaire de ces populations aviaires, devrait-on envisager des aménagements afin de favoriser leur habitat de nidification ou devrait-on laisser la nature suivre son cours, si naturel ou anthropique soit-il? Ce sont là tant de questions qui mériteront d’être profondément étudiées dans les prochaines années.

Pour en savoir plus :
Le Programme de surveillance des marais du Québec
L'État des populations d'oiseaux du Canada 2012
Portrait du parc national d'Oka


Patrick Bouchard-Laurendeau, garde-parc technicien en milieu naturel au parc national d'Oka.

Véronique Vermette, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national d’Oka.

Photos : Gabriel Trahan, John Harrison (Wikimedia commons) et Mathieu Dupuis.


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