Permettre aux étoiles de briller

La nuit tombe. Vous levez les yeux. Il n’y a aucun nuage, mais vous êtes incapable de voir les constellations. Si c’est le cas, vous ne regardez probablement pas la voûte céleste au parc national du Mont-Mégantic, où les étoiles ont conservé le même éclat depuis dix ans. Le secret? Une initiative de lutte à la pollution lumineuse, qui a fait de cet endroit la première réserve internationale de ciel étoilé du monde.

Rémi Boucher | © Sépaq

Les étoiles donnaient l’impression de s’éteindre, mais en fait elles étaient de plus en plus voilées par la pollution lumineuse. Le phénomène a commencé à inquiéter l’équipe du parc national du Mont-Mégantic à la fin des années 1990. L’astrophysicien Yvan Dutil, alors rattaché à l’Université Laval, venait d’évaluer que la luminosité de l’atmosphère y était 50 % plus élevée qu’au moment de l’ouverture de l’Observatoire du Mont-Mégantic, 20 ans plus tôt. Si la tendance se maintenait, plusieurs activités allaient se révéler compromises : les activités scientifiques de l’Observatoire, celles d’interprétation et de vulgarisation de l’ASTROLab, ainsi que les activités touristiques du parc.

Il fallait agir vite pour ne pas subir le même sort que l’Observatoire David-Dunlap, l’un des plus gros télescopes au Canada, devenu l’ombre de lui-même en raison de l’éclairage nocturne émanant de la ville de Toronto.

En 2003, Pierre Goulet, alors directeur du parc national du Mont-Mégantic, a mis sur pied un projet de lutte contre la pollution lumineuse et a embauché l’ingénieure Chloé Legris pour piloter le dossier. En cours de route, un lien a été tissé avec l’International Dark-Sky Association, une organisation sans but lucratif poursuivant le même objectif à l’échelle de la planète. L’IDSA souhaitait développer pour le ciel étoilé une certification semblable à celle par laquelle l’Union internationale pour la conservation de la nature consacre des aires protégées dans le but de conserver la biodiversité. « Notre projet était un super beau banc d’essai pour eux », indique Sébastien Giguère, coordonnateur scientifique et responsable de l’éducation à l’ASTROLab du parc national du Mont-Mégantic.

Rémi Boucher | © Sépaq
Guillaume Poulin | © Sépaq

Mettre à contribution une région entière

Pour obtenir un statut de réserve internationale de ciel étoilé, les initiatives devaient dépasser les frontières du parc de 55 km2 carrés. La pollution lumineuse provenait des municipalités implantées autour. La ville de Sherbrooke, située à plus de 75 km, en était responsable du quart.

Une sensibilisation s’est amorcée auprès des politiciens et administrateurs de cette municipalité, ainsi que de ceux de deux municipalités régionales de comté (MRC). « Il y avait des gens qui accueillaient ça avec un sourire en coin, en nous demandant “Vous voulez vraiment sauver les étoiles?” », se souvient Sébastien Giguère.

Néanmoins, ils se sont montrés sensibles à la survie de l’Observatoire du Mont-Mégantic et ont tendu l’oreille. L’équipe de l’ASTROLab leur a proposé de mettre en place un cadre réglementaire respectant les quatre grands principes de réduction de la pollution lumineuse : abaisser la luminosité, allumer les luminaires durant des périodes plus courtes, orienter l’éclairage vers le sol et limiter la longueur d’onde bleue dans le spectre de lumière. Toutes ces mesures se réalisent facilement sans faire de compromis sur les normes de sécurité publique. La MRC du Granit a modifié sa réglementation en ce sens dès 2005. La MRC voisine du Haut-Saint-François et la municipalité de Sherbrooke ont emboîté le pas respectivement en 2006 et 2007. Les façons de s’illuminer ont ainsi été revues sur un territoire de 5 275 km2!

Un financement de près de 2 millions de dollars, essentiellement fourni par Ressources naturelles du Canada et Hydro-Québec, a été accordé à la Corporation de l’ASTROLab pour la conversion des luminaires dans la région. Près de 770 interventions ont permis de remplacer 3 300 ampoules. « C’est une des plus grandes expériences de modification de l’éclairage pour lutter contre la pollution lumineuse qui a été faite dans le monde », assure Sébastien Giguère. Ces mesures ont généré du même souffle des économies de 1,9 million de kilowattheures par année.

Le statut

La consécration s’est produite en 2007 : la région a alors été la première à décrocher le statut de réserve internationale de ciel étoilé, détenu aujourd’hui par une douzaine de sites à travers le monde. Martin Aubé, professeur de physique au Cégep de Sherbrooke, avait développé en parallèle un spectromètre et un simulateur informatique pour évaluer avec plus de justesse l’évolution de la pollution lumineuse. Il a remarqué qu’entre 2005 et 2008 elle avait diminué de 35 % au zénith.

« On est devenus des leaders de la protection de l’environnement nocturne, dit Martin Aubé. Ce projet a été une inspiration pour beaucoup de régions du monde. » Son expertise, comme celle de ses collègues dans le domaine, est désormais sollicitée aux quatre coins du globe.

Municipalité de La Patrie - AVANT © Sépaq
Municipalité de La Patrie - APRÈS © Sépaq

Les DEL jouent les trouble-fêtes

En septembre 2017, un étudiant de la Colorado State University a mesuré la pollution lumineuse avec un cliché pris à l’aide des mêmes paramètres et dans les mêmes conditions météo qu’un autre capté en 2007. Résultat : la situation est demeurée sensiblement la même depuis. « Le fait d’être stable pendant dix ans, de ne pas reculer, c’est déjà un gain dans le contexte actuel », précise Sébastien Giguère.

Car entretemps, une nouvelle menace à la beauté du ciel dans l’obscurité a fait son apparition : les lumières aux diodes électroluminescentes (DEL). Moins énergivores et plus durables, les premières ampoules blanches aux DEL projetaient une plus grande puissance lumineuse. Mais surtout, le spectre de couleur émis par ces lumières contenait jusqu’à 30 % de bleu, soit une proportion quatre fois plus élevée que dans celui émis par les lampes au sodium haute pression traditionnellement utilisées.

Or, la longueur d’onde bleue est celle qui se diffuse le plus, car elle se reflète davantage sur les molécules de l’air et les particules de l’atmosphère. « C’est pourquoi le ciel est bleu », explique Martin Aubé. Émise par la lumière artificielle une fois le soleil couché, elle éblouit et voile notre vision vers les étoiles.

Le projet de lutte contre la pollution lumineuse a donc été redémarré en 2011. Une fois de plus, les municipalités ont été appelées à revoir leur réglementation. Sherbrooke, par exemple, a légiféré en 2013 pour que le spectre émis par ses luminaires ne dépasse pas 10 % de lumière bleue. Les DEL ambres sont apparues comme une solution. « C’est comme si on peinturait du phosphore sur les DEL, explique Martin Aubé. Le phosphore est excité par la lumière bleue et la convertit en jaune. » Comme les DEL ambres n’existaient pas au départ, le comité de lutte contre la pollution lumineuse a fait des démarches auprès de fabricants pour les convaincre d’en mettre sur le marché.

Entre 2013 et 2015, des municipalités, dont Sherbrooke, Lac-Mégantic, Saint-Ludger, Scotstown, Chartierville et La Patrie, ont commencé à remplacer systématiquement leurs luminaires par des DEL ambres. Leur puissance lumineuse se restreint à 1800 kelvins, soit beaucoup moins que les 4 000 kelvins produits par les DEL blanches. « Pour nous ça devient une façon de transformer une menace en une opportunité de diminuer la quantité de lumière bleue, même par rapport aux lampes sodium haute pression », souligne Sébastien Giguère.

Sauver la nuit

En plus de redonner aux astres leur contraste, la démarche élimine une lumière bleue qui dérègle l’horloge biologique des humains et des animaux. S’il vous est déjà arrivé de ne pas vous endormir après avoir consulté votre ordinateur ou votre téléphone durant une soirée, c’est probablement en raison de la lumière bleue émise par leur écran : elle suspend dans notre corps la sécrétion de mélatonine, l’hormone favorisant le sommeil. Du côté des insectes, Johanne Roby, professeure au Cégep de Sherbrooke, a mené une expérience avec différents pièges lumineux au parc national du Mont-Mégantic. Elle a constaté que les DEL blanches attiraient deux fois plus d’insectes que les lampes au sodium haute pression et les DEL ambres. « On est passé de sauver les étoiles à sauver la nuit », soulève Sébastien Giguère.

Soucieux de ne pas perturber la nature avec trop d’éclairage artificiel, les parcs nationaux demeurent des lieux de prédilection pour lever la tête et admirer le firmament. C’est pourquoi, depuis trois ans, l’activité d’interprétation Lumière sur les étoiles est offerte dans la majorité des parcs nationaux du réseau de la Sépaq. Après le crépuscule, une présentation, suivie d’une période d’observation, permet de s’initier aux constellations et de mieux distinguer les étoiles, bien visibles dans les parcs nationaux malgré les années-lumière qui nous séparent d’elles.

Bulletin de conservation 2018

Cet article fait partie de l'édition 2018 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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