Opération remise à neuf des marais aménagés

En bouchant la structure de contrôle du marais aux Rubaniers, les castors rendaient instable et imprévisible une portion du parc national de Plaisance. Près de 40 ans après avoir aménagé ces installations, Canards Illimités est venu rétablir la situation.

Claudie Lessard | © Sépaq

« Le castor avait pris le contrôle », résume Bernard Filion, directeur de Canards Illimités pour le Québec. Ce mammifère, en surabondance dans le parc national de Plaisance, bouchait systématiquement les tuyaux destinés à la circulation de l’eau entre le marais aux Rubaniers et la rivière des Outaouais. Car dès qu’il détecte un bruit d’eau qui s’écoule, ce rongeur bloque la source. « Il se prépare pour l’hiver, explique Bernard Filion. Il lui faut une certaine quantité d’eau pour accéder à sa hutte dont l’entrée se trouve sous l’eau. Si le niveau baisse, il va y avoir de la glace et il sera coincé dans sa hutte où il n’aura plus accès à ses réserves de nourriture. »

Le milieu environnant subissait une pression importante. L’eau s’y accumulait lors des crues printanières. Les sentiers pédestres débordaient. « Une année, on a même dû ouvrir tardivement un de nos sentiers au mois de juillet », raconte Jean-François Houle, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national de Plaisance. Et les répercussions s’étendaient bien au-delà. « Au mois d’août, on voyait encore de l’eau sur le bord de la route ».

Les routes avoisinantes étaient elles aussi fréquemment inondées, au point où la municipalité de Plaisance commençait à s’impatienter. Et les entraves créées par les castors présentaient un autre risque. « Si un bouchon cède, le niveau d’eau du marais baisse d’un trait », soulève Jean-François Houle, qui considérait les structures endommagées du marais comme une épée de Damoclès pour la faune avoisinante, notamment les canards qui nichaient autour.

Retour aux sources

Canards Illimités est venu à la rescousse en 2017. Pour l’organisme voué à la conservation des milieux humides, comme l’habitat de la sauvagine en Amérique du Nord, il s’agissait d’un retour aux sources. L’aménagement de ce marais de 24 hectares en Outaouais, il y a près de quatre décennies, compte parmi ses premiers projets au Québec. La construction du barrage hydroélectrique de Carillon et sa mise en service en 1963 avaient eu pour conséquence l’élévation du niveau de la rivière des Outaouais et l’inondation des forêts et des terres agricoles des environs. À l’invitation du gouvernement du Québec, Canards Illimités, déjà présent dans les autres provinces canadiennes, a amorcé des travaux sur le territoire actuel du parc national de Plaisance. À l’aide de digues de terre et d’ouvrages de contrôle du niveau de l’eau, il a aménagé en 1974 le marais de Thurso. Des chantiers du même ordre se sont enchaînés dans les alentours, notamment sur la petite et la grande presqu’île, afin de protéger la sauvagine dans ce qui est devenu en 1978 une réserve faunique. Puis, en 1979, l’organisme a façonné le marais aux Rubaniers dans la même perspective. L’ensemble de ce paysage modelé par l’humain a mené à la création en 2002 du parc national de Plaisance, dont 65 % de la superficie est aujourd’hui composée d’eau et de milieux humides.

Des sommes pour restaurer

Canards Illimités a manifesté son intention de remettre en état les structures de ce marais en 2017 grâce à une enveloppe qu’il venait d’obtenir du ministère responsable de la faune aux États-Unis. Ce dernier réinjectait une part des amendes, déboursées en raison de déversements par des compagnies pétrolières, dans la restauration à l’échelle du continent des habitats d’oiseaux migrateurs qui figuraient parmi les principales victimes de ces catastrophes écologiques. Canards Illimités, qui demeurait engagé dans le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine visant à hausser la population de ces espèces d’oiseaux, a ainsi reçu un montant pour des projets au Québec. Comme le marais aux Rubaniers accueille la sauvagine durant la saison estivale, l’organisme a financé la remise en état de sa structure. La municipalité de Plaisance a aussitôt participé au projet et fourni la somme nécessaire pour permettre sa concrétisation.

Le chantier a commencé à l’hiver 2018. Pour réaménager des milieux humides, Canards Illimités privilégie la saison froide. Non seulement les oiseaux migrateurs se sont déjà envolés vers le Sud l’hiver, mais c’est le moment où les travaux présentent le moins de risque de déranger les invertébrés, les amphibiens, les reptiles et les oiseaux qui ne migrent pas. De plus, la terre gelée et la glace rendent le sol plus praticable pour la machinerie.

Jean-François Houle | © Sépaq
Claudie Lessard | © Sépaq

Imiter la nature

« On imite la nature », indique Bernard Filion, en expliquant comment Canards Illimités élabore ses marais. L’organisme les aménage afin que seule la moitié de la végétation demeure submergée. Pourquoi ? La sauvagine affectionne ce genre de milieu : pour s’accoupler et élever ses couvées, elle préfère les plans d’eau parsemés de végétation émergente. La recette ne serait pas seulement favorable à la venue de ces oiseaux migrateurs. « On s’est rendu compte que c’était excellent pour les invertébrés, les amphibiens et les oiseaux comme le petit blongios, assure Bernard Filion. Ce dont la sauvagine a besoin répond aussi aux besoins d’autres espèces. » 

Pour éviter qu’un castor vienne à nouveau jouer les troublefêtes, une structure de type Morency, qui s’apparente à une cage grillagée, a été installée à l’extrémité du tuyau et empêche les castors de le boucher. Si le rongeur tente tout de même d’entraver la circulation de l’eau, un ponceau, échafaudé par-dessus, permet de s’y rendre pour assurer un entretien avant qu’il soit trop tard.

Un milieu naturel plus stable

La municipalité de Plaisance se montre désormais rassurée, puisque tout surplus d’eau est drainé vers la rivière des Outaouais. « On a constaté que le niveau de l’eau était un peu plus élevé qu’à l’habitude, mais dans le fond, il est revenu au niveau optimal des années où il avait été conçu », note Jean-François Houle. De plus, l’été 2018 s’est révélé plutôt sec. « Si on avait eu un été pluvieux, on aurait vu l’eau se vider et être maintenue à un niveau normal. »

L’écosystème ne s’est pas transformé du tout au tout, mais devrait offrir une meilleure constance à la sauvagine, croit Jean-François Houle. « Un équilibre va pouvoir s’installer, et le vieillissement du marais va se faire plus naturellement, dit-il. Il y a des espèces qui vont pouvoir continuer de profiter de ce marais et qui ne seront pas menacées par des changements draconiens durant la saison. » Il a surtout hâte de voir si l’aménagement va créer un environnement favorable au petit blongios, une espèce protégée par la Loi fédérale sur les espèces en péril, qui fréquente le marais aux Rubaniers. Des conditions trop changeantes du marais risquent de décourager les petits blongios qui y sont nés d’y retourner les années suivantes, si l’habitat ne leur est pas propice. « Comme le milieu va être stable maintenant, il se pourrait qu’il y ait plus de nidification. »

Prochaines étapes

Une deuxième phase de travaux a commencé à l’hiver 2019, celle-ci financée par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, ainsi qu’à l’aide d’autres contributions provenant de la Fondation de la faune du Québec et des partenaires du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. Elle concerne d’autres étangs aménagés à l’origine par Canards Illimités sur la grande presqu’île. Ces étangs ne menaçaient pas d’inonder des routes, mais se montraient encore plus inconstants que le marais aux Rubaniers. « J’ai vu des canards y nicher. Puis, soudainement durant l’été, il n’y avait plus d’eau, remarque Jean-François Houle. Les étangs naturels ne se comportent pas de cette façon. » De plus, une fois qu’ils seront réaménagés, ces étangs serviront de laboratoire pour le Centre d’excellence des milieux humides (CEMH). Mis en place avec l’école Louis-Joseph Papineau, cette initiative lancée par Canards Illimités et le parc national de Plaisance permet de sensibiliser des jeunes du secondaire aux rôles écologiques de ces habitats. « On va y faire des inventaires de la faune et de la flore et, peut-être un jour, ce sera l’école qui va bâtir des panneaux d’interprétation », indique-t-il. Une belle façon de boucler cette collaboration!

Bulletin de conservation 2019

Cet article fait partie de l'édition 2019 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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