Minuscules plantes... mais grandes découvertes!
10 décembre 2013
Du 2 au 5 juillet derniers, dans le cadre d’un événement annuel appelé « Crum Workshop », un groupe de 24 bryologues chevronnés venus des quatre coins d’Amérique du Nord se sont donné rendez-vous au parc national de la Gaspésie pour y étudier les mousses et les hépatiques. Tel qu’attendu, plusieurs espèces ont été trouvées pour la première fois dans le parc.
À la poursuite du savoir
Riches de l’expérience vécue l’été dernier lors du Tuckerman Workshop sur les lichens où d’autres passionnés de l’infiniment petit ont fait des découvertes remarquables, certains de ces spécialistes tenaient à revenir au parc national de la Gaspésie afin d’explorer le monde méconnu des bryophytes (mousses et hépatiques).
Durant ces quelques jours, plusieurs secteurs ont été visités par ces bryologues, dont les monts Jacques-Cartier, Logan et Olivine ainsi que les vallées de la rivière Sainte-Anne et du lac Cascapédia. Un laboratoire temporaire a été établi au centre de découverte et de services pour permettre aux bryologues de travailler sur les nombreuses espèces observées dans le parc durant la journée.
Laboratoire temporaire au centre de découverte et de services
Par le passé, quelques botanistes se sont attardés à étudier en détail la bryoflore du parc national de la Gaspésie. C’est le cas du botaniste canadien John Macoun en 1882 et de J. Franklin Collins, un botaniste américain participant aux expéditions de Merritt L. Fernald, entre les années 1905 et 1923. Plus récemment, au cours des années 1980, le bryologue canadien René J. Belland a inventorié les mousses dans cinq secteurs du parc, dont les monts Logan, Albert et Jacques-Cartier. Il souligne le caractère exceptionnel de la bryoflore de ces sommets, notamment par la présence de plusieurs espèces arctiques-alpines disjointes.
Ces spécialistes travaillent à l’échelle du millimètre avec binoculaire et microscope pour identifier leurs récoltes. Plusieurs mois sont nécessaires pour identifier tous les spécimens collectionnés. Malgré cela, il est déjà possible d’affirmer que plusieurs espèces ont été trouvées pour la première fois dans le parc. C’est le cas de la mousse arctique disjointe Oligotrichum hercynicum.
Oligotrichum hercynicum
Les hépatiques ont été peu étudiées à ce jour dans ce territoire protégé. Il n’est donc pas surprenant de constater que les inventaires du Crum Workshop ont permis l’ajout de plusieurs espèces dans le parc. C’est le cas notamment de Cephaloziella divaricata, Diplophyllum apiculatum, et Jungermannia obovata
Ces travaux ont aussi permis de valider des occurrences historiques pour plusieurs autres espèces dont des hépatiques rares pour l’ensemble du Québec, soit Prasanthus suecicus et Frullania selwyniana. Cette dernière est une espèce méridionale endémique du Nord-est américain qui a été trouvée sur des troncs d’arbres, en bordure de la rivière Ste-Anne. Dans l’est de l’Amérique du Nord, cette espèce atteint sa limite nord de répartition dans le parc national de la Gaspésie. Fait intéressant, cette espèce a été initialement décrite à partir d’un spécimen récolté par John Macoun en 1882 sur le bord de la rivière Ste-Anne.
Puis, contrairement à F. selwyniana, l’hépatique arctique-alpine Prasanthus suecicus, se retrouve à sa limite sud de répartition. Elle n’est connue que du Québec-Labrador sur le continent nord-américain, son aire principale de répartition étant l’Eurasie. Plusieurs autres mousses arctiques toutefois déjà connues du parc national de la Gaspésie ont été également observées, soit Andreaea alpestris, Andreaea blyttii, Dicranum acutifolium, Grimmia sessitana et Kiaeria blyttii.
Prasanthus suecicus
Les résultats préliminaires combinés avec des données historiques indiquent que le parc national de la Gaspésie avec ses écosystèmes allant du tempéré à l’arctique alpin est l’un des sites les plus diversifiés du Québec en ce qui a trait aux bryophytes. Un constat similaire avait été fait l’an dernier pour les lichens lors d’une rencontre de lichénologues nord-américains au parc national de la Gaspésie. On constate à nouveau que tout n’est pas connu et que même en 2013, il est toujours possible de faire des découvertes étonnantes. La contribution de ces gens passionnés s’ajoute à tous les efforts déployés pour mieux connaître cet environnement afin de maintenir son intégrité et d’assurer sa pérennité. Soyez donc attentif lors de votre prochaine visite, vous pourriez être témoin d’une nouvelle connaissance.
Pour en savoir davantage sur ces végétaux, voir également le texte d’Hélène Philibert et Camille-Antoine Ouimet du 29 janvier dernier.
Jean Gagnon est biologiste en conservation au Service de l’expertise en biodiversité du MDDEFP.
Claude Isabel est responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national de la Gaspésie. isabel.claude@sepaq.com
Photos: Jean Gagnon; Parc national de la Gaspésie.