Lorsque l’animal sauvage devient familier!
28 February 2012
Depuis 2 ans, le parc national du Bic est aux prises avec une problématique délicate…soit le développement de comportements inhabituels chez une femelle renard. L’observation de cette renarde nous a permis de constater des modifications de comportements et un développement rapide de tolérance envers les humains jusqu’à en devenir aujourd’hui une problématique de gestion de la conservation.
Mise en contexte
Au départ sympathiques, ces comportements permettaient aux visiteurs du parc de voir très facilement la renarde le long de la plage ou des sentiers et dans le camping, ce qui ne causait pas de véritable problème de cohabitation. Le visiteur curieux limitait ses actions à la prise de photos et se considérait privilégié de pouvoir observer un animal sauvage lors de sa visite. Quant à la femelle en quête de nourriture, elle se pavanait avec le fruit de sa chasse (petits mammifères, grenouille…) en effectuant des allers-retours vers son terrier. Son audace grandissant, nous avons tenté de sensibiliser les visiteurs, principalement le pique-niqueur et le campeur, à l’importance de ne pas laisser traîner de la nourriture et de respecter la réglementation qui interdit de nourrir les animaux dans les parcs nationaux. Toutefois, chaque jour notre renarde réussît assez facilement à obtenir de la nourriture et, lentement, perdit certains comportements naturels, dont la crainte de l’humain. Et, même si notre personnel utilisait la technique d’effarouchement tel que le tapement des mains lorsqu’elle circulait près des gens, le mal était déjà fait.
L’arrivée de rejetons vint ensuite fasciner davantage les visiteurs. Accompagnant leur mère, les renardeaux suivirent ses traces et s’acclimatèrent rapidement à la présence humaine. Ce comportement associé au charme des renardeaux a amené certains visiteurs du parc à nourrir tous les membres de la petite famille. Puis, rapidement, l’audace des renards s’est accrue à un point tel que le niveau de tolérance des visiteurs face à leur présence a considérablement diminué. L’animal sauvage devenait maintenant trop familier… Jusqu’à ce jour, les gestionnaires et le personnel se réjouissaient de constater que le parc semblait à l’abri de ce phénomène. La sensibilisation dans le journal du parc, l’application réglementaire et l’information transmise lors des activités de découverte avaient porté fruit. Aujourd’hui, comme d’autres sites, le parc national du Bic doit faire face à cette situation.
Qu’est-ce que l’animal familier?
« Processus lent, la familiarisation survient quand l’animal occupe une zone où, sur une longue période, les rencontres avec l’humain sont aléatoires, fréquentes et sans conséquences apparentes. Le nourrissage peut parfois venir favoriser ce processus » (Kimmel 1973). En fait, on peut qualifier de faune familière, une ou plusieurs espèces animales sauvages qui perdent la crainte naturelle face à l’être humain.
Comment ce phénomène se développe-t-il?
Comme le récit précédent le décrit, le phénomène se développe progressivement. Pour diverses raisons (curiosité, faim, etc.), l’animal peut mettre en veilleuse sa méfiance. Ainsi, une femelle en gestation ou affaiblie devant nourrir ses nouveaux nés ou un animal blessé ou malade sont susceptibles de s’approcher des lieux occupés par les humains pour l’obtention facile de nourriture et, dans certains cas, de soins. Parallèlement, le manque de vigilance de l’humain qui facilite l’accès à des denrées alimentaires peut également modifier les comportements de la faune en général et créer chez elle une dépendance. Les conflits humain-faune sauvage, tels que la familiarisation, risquent d’augmenter dans les années à venir puisque le phénomène est principalement dû à la potentielle hausse de la pression de l’activité humaine sur la faune sauvage et sur son habitat naturel (Cugnière 2011).
Pourquoi la familiarisation est-elle un problème?
Une telle modification du comportement de la faune sauvage peut entraîner des conséquences graves tant pour les animaux que pour les êtres humains. À moins de situation exceptionnelle, la nature abonde de nourriture adaptée aux besoins de la faune. Cependant, pour assurer leur survie, les animaux doivent se garder en forme, être aux aguets en permanence afin de se protéger des prédateurs mais également de se nourrir d’aliments nutritifs adaptés à leurs besoins. Dans le cas contraire, les animaux risquent de faire de l’embonpoint, d’être affaiblis ou malades, d’être plus vulnérables et de devenir plus facilement la proie de prédateurs. Bref, la familiarisation peut significativement diminuer leur chance de survie. En outre, pour l’humain, les risques inhérents à l’approche de l’animal sauvage sont grands. On n’a qu’à penser à la peur, l’attaque, les blessures, la transmission de maladie et dans certains cas, la mort.
Comment intervenir face à une situation où l’animal sauvage devenant familier?
Selon la dangerosité de l’animal en cause, diverses options peuvent être envisagées :
Dans tous les cas, la première étape consiste à renforcer les actions visant à éliminer la disponibilité de nourriture humaine : ne pas laisser traîner de nourriture sur les lieux, mettre en place un système efficace de fermeture des poubelles, intensifier les efforts pour sensibiliser et intervenir systématiquement lors de situation de nourrissage, utiliser l’affichage, etc. Des moyens tels l’effarouchement, les mesures de prévention, le conditionnement négatif peuvent aussi être utilisés en parallèle. Cependant, avec certaines espèces, la sécurité des visiteurs peut parfois être compromise (ours, loup, etc.). Alors, des moyens plus drastiques doivent être envisagés. Il peut s’agir de capturer et de relocaliser les animaux problématiques, d’installer des dispositifs d’effarouchement plus contraignants, etc.
Ensemble, pouvons-nous prévenir certains comportements chez la faune et éviter le pire?
Les parcs nationaux ont une double mission, soit de répondre à un objectif prioritaire de conservation tout en les rendant accessibles au public. Le défi au quotidien consiste à protéger l’intégrité écologique des lieux et de ses composantes. Cela implique de s’assurer que la faune, la flore, les écosystèmes et leur fonctionnement soient préservés de la manière la plus naturelle possible. Divers moyens sont mis en place afin d‘atteindre ces objectifs, que ce soit l’information, la sensibilisation et la réglementation. Effectivement, dans le but d’assurer leur protection, les parcs sont dotés d’une réglementation qui prévoit, entre autres, l’interdiction de nourrir et/ou de tenter d’apprivoiser la faune. Naturellement, l’implication du visiteur est primordiale pour l’atteinte de nos objectifs. Une meilleure connaissance des enjeux, des comportements adaptés et la transmission de l’information par l’ensemble des amoureux et protecteurs de la nature demeurent à la base de l’équilibre. Si vous êtes témoin de nourrissage, surtout dans un parc, soyez nos alliés et n’hésitez pas à sensibiliser les gens impliqués.
Liens utiles et références
Kimmel, H.D. (1973), Habituation, habituability, and conditioning, dans Habituation, vols. 1 et 2, H.V.S. Peek and M.J. Hertz, eds., New York Academic Press.
Par Marlène Dionne, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national du Bic, dionne.marlene@sepaq.com.
Photos : Éric Le Bel