La gestion du niveau d’eau au Grand lac Saint-François
26 novembre 2013
Le Grand lac Saint-François, situé au cœur du parc national de Frontenac, a vu au début du 20e siècle son niveau d’eau rehaussé de plus de 7 mètres avec la construction d’un barrage à son embouchure, le barrage Jules-Allard. Depuis, son niveau est géré pour différentes raisons. La plus importante : réduire les risques d’inondation en aval. Mais cette gestion a-t-elle des conséquences sur la santé du Grand lac Saint-François?
Le barrage
En 1917, le gouvernement du Québec construit un barrage à la décharge du lac pour contrôler le débit de la rivière Saint-François et faciliter la drave. Les risques d’inondation étant particulièrement plus grands lors de la fonte des glaces au printemps, une partie du lac est vidangé à partir du mois de décembre afin de se donner une marge de manœuvre pour la période critique. Le niveau de l’eau diminue alors généralement de 5 à 7 mètres au cours de l’hiver. Le débit, ainsi plus élevé dans la rivière Saint-François, permet la production d’hydroélectricité au fil de l’eau durant la période de l’année où la demande est la plus grande. Mais le fait de retirer une quantité importante de l’eau du lac a certainement des conséquences sur sa santé. Qu’advient-il de la faune benthique qui compte sur la présence de cette eau comme isolant thermique, pour empêcher le fond du lac dans la zone littorale de geler? Et les poissons, comment réagissent-ils lorsque l’eau disparaît sur près de 16 km² du lac? Et les épisodes de cyanobactéries, sont-elles favorisées par ce marnage?
Une préoccupation régionale importante
Depuis de nombreuses années, les gens de la région sont préoccupés par ces questions. Le Regroupement pour la protection du Grand lac Saint-François (RPGLSF), dont le parc national de Frontenac est membre, a d’ailleurs identifié cette préoccupation comme étant parmi les plus importantes dans le cadre de la réalisation de son Plan d’intervention en développement durable. Ces questions ne sont pas simples à répondre et les solutions efficaces nécessitent d’abord une bonne compréhension de ces relations.
Cette préoccupation fait d’ailleurs partie des discussions au sein du comité scientifique que le RPGLSF a mis en place et auquel participe le Centre d’expertise hydrique du Québec, le gestionnaire du barrage.
Une collaboration enrichissante
Le Conseil régional de l’environnement de Chaudière-Appalaches (CRECA) et le RPGLSF ont joint leur effort afin de rassembler le financement requis pour répondre à ces questions. D’abord, il faut souligner la contribution financière importante de la Fondation de la Faune du Québec, à laquelle s’est ajoutée une contribution du milieu provenant des municipalités riveraines, de l’Association des riverains du Grand lac Saint-François, du parc national de Frontenac, du CRECA et de Génivar. Ces engagements ont amené le Centre de la science de la biodiversité du Québec à majorer la mise, entre autres, à l’aide du programme MITACS. Ces partenariats ont permis de former une importante équipe de recherche composée de chercheurs et étudiants chercheurs provenant des laboratoires de Irene Gregory-Eaves et Chris Solomon de l’université McGill, et de Christian Nozais de l’UQAR afin de débuter un important projet de recherche scientifique.
Et les travaux débutent
L’objectif du projet est donc de comprendre quel est l’impact de cette variation du niveau d’eau sur la santé de l’écosystème et sur la qualité de l’eau, et de trouver des solutions qui permettront de diminuer ces impacts. Pour ce faire, l’équipe de recherche a proposé de faire différents inventaires qui permettront de comparer divers paramètres biophysiques entre des lacs ayant des niveaux de marnage différents et d’y faire ressortir l’impact associé à ces niveaux de marnage.
C’est au mois de mai 2013 que les premières sorties sur le terrain ont débuté. Une équipe composée d’un chercheur post-doctorant, 3 étudiantes à la maîtrise et 3 assistantes de terrain ont permis d’échantillonner 6 lacs présentant des caractéristiques physicochimiques similaires, mais des niveaux de marnage variable.
Les sorties sur le terrain visaient à recueillir, pour chacun des lacs sélectionnés, une série de données touchant quatre domaines importants de l’écosystème lacustre :
1) Échantillonnage limnologique
Des profils de température, d’oxygène dissous (DO), de conductivité et de pH, ainsi qu’un échantillonnage épilimnétique pour la couleur de l’eau et les concentrations de phosphore ont été recueillis pour chacun des lacs. Ces données visent à comprendre le fonctionnement des écosystèmes étudiés.
2) Carottage de sédiments
Deux carottes de sédiments ont été recueillies au Grand lac Saint-François afin d’analyser leur composition au niveau des pigments et des diatomées. Des échantillons similaires ont été recueillis dans les autres lacs. Ces carottes devraient permettre d’identifier les changements de la qualité de l’eau du lac au cours des 150 dernières années. Ceci devrait nous donner un portrait de l’évolution des concentrations de phosphore dans le temps. Il devrait aussi permettre, par l’entremise d’analyses de pigments préservés dans les sédiments, de déterminer les variations des groupes algaux, dont les cyanobactéries. Ces données, couplés aux données historiques de la région devraient permettre d’identifier les éléments historiques marquants dans les changements écologiques du lac et déterminer si la construction du barrage et le marnage ont joué un rôle dans ces variations.
3) Échantillonnage du benthos
Quatre transects perpendiculaires à la berge ont permis de récolter, selon un gradient de profondeur, la faune d’invertébrés benthiques, ainsi que des sédiments. Cette faune, à la base de la chaîne alimentaire, est surtout associée à la zone littorale qui se retrouve asséchée une partie de l’hiver au Grand lac Saint-François. Les données recueillies devraient donc permettre de déterminer si la variation du niveau de l’eau réduit la diversité et la biomasse de ce maillon essentiel à la survie de nombreuses espèces, dont plusieurs prisées pour la pêche sportive.
4) Échantillonnage des communautés de poissons
Finalement, diverses méthodes de captures ont été utilisées afin d’échantillonner la faune ichtyologique du lac et de porter un diagnostic sur la santé des populations de poissons du lac. Ces inventaires ont permis de capturer plus de 19 espèces de poissons.
Des conclusions à venir
Il est trop tôt pour tirer des conclusions de l’étude. L’équipe de chercheurs analyse présentement les données recueillies. Ils reviendront sur le terrain afin de compléter leur échantillonnage et permettre de tirer les meilleures conclusions possible. Ces conclusions devraient nous permettre d’identifier les actions à prendre afin de limiter l’impact du marnage sur la santé du Grand lac Saint-François.
René Charest, responsable du Service de la conservation et de l’éducation au parc national de Frontenac charest.rene@sepaq.com
Remerciement pour la révision du texte : Irene Gregory-Eaves et Cosmin Vasile
Photos : Leanne Elchyshyn; Gabrielle Trottier; Raphaelle Thoma; Stéphane Poulin; Mathieu Dupuis.