Blogue de conservation

Un ver de trop!

6 décembre 2016


En Amérique du Nord, le ver de terre (lumbricus terrestris) est une espèce exotique. L'introduction d’un décomposeur dans un écosystème peut avoir d’importantes conséquences sur sa dynamique. Ce grand ami des pêcheurs s'est-il introduit dans les forêts du parc national du Mont-Tremblant? Dans l’affirmative, quel effet a-t-il sur le milieu?

Des espèces exotiques

Qui croirait que les vers de terre du Québec sont des espèces exotiques? Eh oui… il y a 12 000 ans, la dernière glaciation y a éliminé la majorité des vers de terre. Les écosystèmes forestiers s'y sont développés sans la présence de cet important artisan de la décomposition des sols. On croit que c’est au XVIe siècle, avec l’arrivée des colons, que les lombrics européens ont été introduits.

Étant donné que le parc national du Mont-Tremblant se trouve en milieu forestier et que la présence des Européens n'y date que de la fin du XIXe siècle, est-ce possible que les vers de terre européens n’y soient pas présents? S’ils sont présents, comment ont-ils fait pour s’y rendre? Est-ce qu’ils déstabilisent l’équilibre des écosystèmes forestiers? Un chercheur et une étudiante à la maîtrise de l’Université de Sherbrooke se sont penchés sur ces questions.

La pêche, grande responsable de l’introduction

Le mode de propagation le plus probable des vers de terre dans le parc national étant la pêche, la première étape du projet fut de clarifier s'il existait un lien entre la distribution des vers de terre et cette activité. Des échantillons ont été pris sur les rives de 61 lacs, dont certains près des routes et fortement pêchés, d'autres loin des routes et sans pêche et un dernier groupe près des routes et peu pêché.

Le résultat? Le ver de terre le plus vendu au Québec comme appât (lumbricus terrestris) se répand bel et bien en fonction de la pratique de la pêche. Les secteurs les plus pêchés du parc présentent les densités les plus élevées de lombric. Les sites avec la plus haute diversité en espèces de vers de terre sont également situés près des lacs pêchés. Par conséquent, la pêche constitue la principale cause de l'introduction des vers de terre. Bonne nouvelle : la densité des lombrics diminue au fur et à mesure qu’on s’éloigne des lacs pêchés. En effet, à plus de 500 mètres d’un plan d'eau, on en retrouve très peu.

Figure 1. Gobelet de vers de terre que des pêcheurs ont abandonné sur la rive d'un lac, Charline Bringuier

Des vers bien sûr, mais encore?

Les vers de terre sont des décomposeurs importants. En ce sens, ils ont une incidence notable sur le milieu. Puisqu’ils ne font pas partie des écosystèmes forestiers québécois intègres, leur présence pourrait donc déstabiliser la dynamique de ces écosystèmes.

Le lombric terrestre est associé à une diminution de la richesse en espèces herbacées, ce qui pourrait s'expliquer par le fait qu’il change la composition de la banque de graines en modifiant les conditions de germination, réduit le taux de survie des graines lors de leur passage dans son tractus intestinal, augmente la prédation par les herbivores en réduisant la couche protectrice de litière et diminue la quantité de racines des plantes.

On pense que d’autres espèces de vers de terre sont associées à la diminution de la présence du maïanthème du Canada, de la trientale boréale et d’une espèce de fougère (dryoptère intermédiaire). De plus, les lombrics sont associés à une augmentation du couvert des espèces de carex.

Figure 2. La trientale boréale est une des plantes dont la densité diminuerait à la suite de l'apparition de certaines espèces de vers de terre, Émilie Dorion

Sensibilisation

À la suite de ces travaux, la direction du parc a affiché dans ses chaloupes un message à l’intention des pêcheurs pour les inviter à se débarrasser de leurs appâts non utilisés dans une poubelle plutôt que sur le sol.

Référence

Fugère, Martine, 2015. Étude du patron d’invasion des vers de terre exotiques dans le parc national du Mont-Tremblant et leurs impacts sur le milieu forestier, Mémoire présenté au Département de biologie en vue de l’obtention du grade de maître ès sciences (M.Sc.), Faculté des sciences, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec, Canada, 62 pages.


Hugues Tennier est responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national du Mont-Tremblant. tennier.hugues@sepaq.com

Photos du carrousel: Martine Fugère et Charline Bringuier.


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