Conjuguer la conservation des fossiles au temps présent
27 March 2012
Le parc national de Miguasha a pour mandat premier de protéger une formation fossilifère et les espèces disparues qu’elle contient depuis 380 millions d’années. Une mission qui passe par des mesures de protection et de conservation quotidiennes.
La protection de la biodiversité actuelle…et ancienne!
La biodiversité évoque habituellement dans notre esprit le foisonnement d’espèces que l’on retrouve dans les grands espaces naturels actuels et les menaces qui pèsent sur ces écosystèmes. Mais on oublie souvent que le concept de biodiversité s’étend également dans le temps et dépasse la diversité biologique actuelle. À vrai dire, lorsqu’il est question de biodiversité, le présent fait pâle figure en comparaison du passé. En effet, si certaines estimations évaluent qu’il y a aujourd’hui 3 à 30 millions d’espèces peuplant la planète, on évalue également que ce nombre ne représente qu’un infime pourcentage des formes de vies ayant un jour vécu sur la Terre. En fait, 99% de la biodiversité terrestre appartiendrait au passé. Rien de vraiment étonnant lorsque l’on sait que la vie sur Terre s’étend sur au moins 3,5 milliards d’années. Dans une approche globale, l’étude de la vie passe donc nécessairement par une meilleure compréhension de la vie passé et, donc, par la paléontologie.
Le passé est la clé du présent
Cette science nous a déjà apporté de nombreuses connaissances cruciales en lien avec les problématiques de préservation de la biodiversité actuelle. Des connaissances qui ont changé notre perception du monde. D’abord, la paléontologie nous a appris qu’il existe bel et bien une biodiversité passée ou paléobiodiversité. Celle-ci est représentée par la multitude de formes fossiles découvertes à ce jour. Toutes ces formes fossiles sont précieuses car elles représentent notre seule et unique porte d’accès à la paléobiodiversité. Actuellement, quelques 250 000 espèces fossiles ont déjà été décrites. Ensuite, on sait aujourd’hui que ces espèces sont liées entre elles par le processus d’évolution les ayant fait émerger à partir d’espèces préexistantes. Enfin, la paléontologie nous révèle que les espèces sont tôt ou tard soumises au phénomène d’extinction. On reconnaît d’ailleurs dans l’histoire de la vie plusieurs épisodes d’extinction de masse durant lesquels une forte proportion des formes de vies a été balayée en un instant géologique. La paléontologie est donc essentielle aux biologistes car elle permet de « mettre la vie en perspective », de révéler les grandes tendances évolutives de passé, de comprendre comment la vie s’est structurée et comment elle a réagit aux perturbations ayant affecté les écosystèmes du passé. Or, notre compréhension de la paléobiodiversité repose sur la qualité du registre fossile.
Le patrimoine fossile exceptionnel du parc national de Miguasha
Rares sont les sites fossilifères qui préservent fidèlement les caractéristiques des écosystèmes disparus. Nous avons la chance de posséder au Québec l’un de ces joyaux avec le site de Miguasha et sa célèbre formation fossilifère, soit la Formation d’Escuminac. Cette dernière recèle en effet un assemblage diversifié de poissons, d’invertébrés et de plantes caractéristiques de la Période du Dévonien (416 à 359 millions d’années avant aujourd’hui). Ces spécimens fossiles sont retrouvés en abondance et dans un état exceptionnel de conservation facilitant grandement leur étude. De plus, la Formation d’Escuminac préserve les diverses composantes terrestres et aquatiques d’un écosystème complet, soit un ancien environnement estuarien tropical qui s’étendait, il y a 380 millions d’années, au pied des Appalaches récemment formées à l’époque. De plus, les fossiles de Miguasha sont les témoins de plusieurs grands évènements évolutifs survenus au Dévonien telle la transition entre les poissons et les vertébrés à quatre pattes. C’est pour toutes ces raisons que le site a été inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1999. Une telle reconnaissance implique des mesures de protection et de conservation tout aussi exceptionnelles.
La conservation : des gestes concrets sur le terrain
Au fil des ans, le parc s’est doté d’outils visant à protéger et conserver le patrimoine universel unique que constitue la Formation d’Escuminac. D’abord, au niveau légal, il est strictement interdit pour les visiteurs de faire des fouilles, de retirer ou de conserver des roches provenant de la plage ou de la falaise du parc, à moins de détenir une autorisation de recherche. Le prélèvement d’échantillons rocheux est d’ailleurs interdit dans tous les parcs nationaux. De plus, la Formation d’Escuminac est protégée par un arrêté ministériel du gouvernement du Québec qui la soustrait au jalonnement minier.
Le geste de conservation le plus concret posé au parc est la récolte régulière du matériel fossile. Sans cette action, toutes les lois du monde ne suffiraient pas à conserver la richesse scientifique de la Formation d’Escuminac. Les fossiles seraient en effet destinés à une destruction rapide par les agents naturels (marées, vagues, pluie, gélifraction) au fil de l’érosion de la falaise. Pour éviter cette fin tragique, des patrouilles sont effectuées quotidiennement par le personnel du parc pour récolter le matériel fossile. Cette méthode de récolte se révèle très efficace. Ces dernières années, de nombreux spécimens ont ainsi été reconstitués en entier suite à la découverte, échelonnée sur plusieurs années, de leurs divers fragments sur la plage. Les patrouilles peuvent ainsi fournir de superbes fossiles. Cependant, si les spécimens fossiles demeurent importants en eux-mêmes, leur « contexte de fossilisation » l’est tout autant. C’est pourquoi on extrait également des spécimens dans le cadre de fouilles systématiques dans la falaise. Ces projets de fouilles estivales visent bien sûr à découvrir des nouveaux spécimens mais, surtout, à obtenir un maximum d’information sur eux. Ainsi le fouilleur note avec précision les coordonnées cartésiennes du fossile dans la couche sédimentaire, par rapport à un point de référence, son orientation spatiale, le type de sédiments qui l’entoure, sa hauteur dans la falaise, etc. En documentant ces détails, on peut mieux reconstituer la vie des organismes, leurs interactions, l’environnement dans lequel ils vivaient et les causes de leur mort. Bon an mal an, les patrouilles et les fouilles viennent enrichir de 500 nouveaux spécimens la collection du musée d’histoire naturelle du parc national de Miguasha. Ces efforts de conservation, liés à la recherche paléontologique, permettent de préserver notre patrimoine paléontologique exceptionnel et de faire « revivre » ces espèces éteintes depuis des temps immémoriaux.
Spécimen d'Eusthenopteron foordi en voie de préparation. Comme le montre les fiches d'accession, les divers fragments de ce fossile ont été récoltés sur la plage en quatre patrouilles distinctes, échelonnées sur plus de trois ans, au fur et à mesure de l'érosion de la falaise!
Une mission paradoxale mais fascinante
Le parc national de Miguasha a pour mission de protéger un pan de la biodiversité du passé. Voilà un rôle aussi important que paradoxal, puisqu’il s’agit non pas de protéger des espèces menacées ou en voie de disparition mais bien des organismes maintenant totalement éteints. Une tâche à laquelle l’équipe du parc s’atèle avec passion depuis 1976. À chaque fois qu’un patrouilleur ou un fouilleur se rend à la falaise, les brumes du temps se dissipent quelque peu, révélant ainsi un peu plus un monde étrange qui préserve une part de notre histoire commune en tant qu’êtres vivants.
Olivier Matton, coresponsable du service de la conservation et de la recherche au parc national de Miguasha, matton.olivier@sepaq.com.
Photos : Comité de promotion de Nouvelle, Johanne Kerr et Olivier Matton.