Les gardiens de la rivière George

La rivière George, dans la péninsule d’Ungava au nord du Québec, se trouve entre de bonnes mains : de jeunes Inuits de la région ont appris à assurer un suivi scientifique de la qualité de son eau et se sont découvert une passion pour différentes facettes des sciences naturelles.

Imalirijiit | © Sépaq

Récolter des macro-invertébrés, les trier, puis les identifier à l’aide d’une clé taxonomique : ces procédures permettent d’évaluer la santé des rivières, puisque les organismes qui vivent au fond des cours d’eau se montrent sensibles aux changements physiques et chimiques dans leur environnement. Toutefois, cet échantillonnage reste fastidieux aux yeux de Gwyneth Anne MacMillan. « Ce n’est pas quelque chose que j’aime faire sur le terrain, parce que c’est vraiment long », admet la candidate au doctorat en sciences biologiques à l’Université de Montréal. Or, à son grand étonnement, les adolescents inuits qu’elle accompagne depuis 2017 dans le cadre de camps scientifiques à l’entrée du parc national Ulittaniujalik raffolent de cette activité.

« Ils sont en général vraiment bons pour l’identification, ajoute Élise Rioux-Paquette, responsable à la conservation et à l’éducation dans les parcs du Nunavik. Elle a remarqué le même engouement lorsqu’elle a suivi un groupe à l’été 2017 : « Ces jeunes possèdent un bon sens de l’observation ».

Au départ, l’engouement pour la démarche scientifique chez ces Inuits âgés de 13 à 18 ans demeurait timide. Lors du recrutement pour le camp scientifique, peu d’entre eux se sont portés volontaires après avoir entendu l’annonce à la radio.

Pourtant, c’était en partie l’avenir d’une rivière névralgique pour les activités traditionnelles de pêche, de chasse et de cueillette qui se jouait dans ce projet. En 2015, la professionnelle de recherche au Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières, José Gérin-Lajoie, a sollicité plusieurs communautés inuites du Nunavik. Elle souhaitait savoir si l’une d’elles aimerait que ses adolescents et leurs aînés participent à des camps scientifiques autour d’une thématique de recherche de leur choix. Le village Kangiqsualujjuaq a répondu à l’appel.

La communauté de la péninsule d’Ungava, une fois consultée, a demandé la mise sur pied d’un programme de recherche pour évaluer la qualité de l’eau de la rivière George, coulant du sud vers le nord sur 565 km. La raison? Un projet de mine de terres rares était prévu à Strange Lake, un lac situé dans le haut du bassin versant de la rivière George, et les effets de la mine sur l’environnement suscitaient des inquiétudes. « La communauté voulait se constituer une base de données de référence indépendante de la mine, explique José Gérin-Lajoie. Elle ne voulait pas dépendre de l’entreprise minière pour connaître les répercussions du projet. » Du même souffle, la communauté souhaitait que la nouvelle génération soit formée afin d’assurer elle-même le suivi de l’état de santé de la rivière dans les années à venir.

Huit adolescents se sont finalement portés volontaires pour la première expédition. Trois cuisinières, trois guides, deux aînés, un assistant et trois chercheurs les accompagnaient. Le 22 juillet 2016, l’équipe a remonté la rivière George et installé des tentes à un site de camping anciennement utilisé par les aînés de la communauté. Bravant les mouches noires, les jeunes ont été initiés à plusieurs méthodes scientifiques, dont la mesure du pH à l’aide d’indicatifs de couleur et de sondes numériques, l’utilisation d’un GPS, l’imagerie satellitaire, ainsi que l’identification de macro-invertébrés dans un petit affluent de la rivière George. Ils ont prélevé des échantillons d’eau, qu’ils ont minutieusement filtrés et versés dans des fioles, en s’assurant de ne pas les contaminer, pour ensuite déterminer leur turbidité, leur dureté et leur concentration en oxygène et en métaux. Les participants se sont appliqués. « Ils voyaient l’importance de la rivière et de l’eau, et ils voulaient bien faire », observe Gwyneth Anne MacMillan.

Les résultats de l’analyse de ces échantillons ont ensuite été présentés à la communauté. « En général, on peut dire que la qualité de l’eau est très bonne, soulève la chercheuse. Il y a très peu de matières en suspension et des concentrations très faibles de métaux et de terre rares ». Par ailleurs, les macro-invertébrés identifiés sur place correspondent à ceux que l’on trouve généralement dans les cours d’eau en bonne santé.

Imalirijiit | © Sépaq
Imalirijiit | © Sépaq

Deuxième année

L’année suivante, onze jeunes se sont lancés dans l’aventure du projet IMALIRIJIIT, qui signifie « ceux qui étudient l’eau ». Élise Rioux-Paquette s’est jointe au groupe pour observer les méthodes d’échantillonnage dans le but d’assurer une uniformité pour de prochains suivis. Car la qualité de l’eau de cette rivière constitue une des préoccupations importantes en matière de conservation pour le parc national Ulittaniujalik. Le partenariat entre Parcs Nunavik, la communauté de Kangiqsualujjuaq et les chercheurs assurera la continuité du suivi de la qualité de l’eau de la rivière George.

Tout en portant une attention particulière à l’état de santé de la rivière George, les adolescents ont été initiés à une variété de disciplines telles que la géologie, l’écologie, l’entomologie, l’hydrologie, la cartographie, la biologie et même la télédétection. Encore une fois, des aînés ont accompagné le groupe pour partager leur savoir. « Ils parlaient beaucoup de leurs souvenirs du territoire, des voyages qu’ils y ont effectués par le passé », explique Gwyneth Anne MacMillan. Ils reconnaissaient et nommaient différents lieux, indiquaient les endroits privilégiés pour la chasse et la pêche, puis transmettaient aux jeunes leurs connaissances au sujet des rapides de la rivière George, qui auraient été autrement difficiles à franchir.

L'engouement gagne du terrain

Pour le troisième été, le mot a couru. « On a fait une annonce à la radio et, après vingt minutes, le téléphone sonnait tellement qu’on n’arrivait pas à répondre à tous les appels, raconte Gwyneth Anne MacMillan. Il y avait trop de membres de la communauté qui voulaient participer. C’était vraiment la folie. »

Entre-temps, le projet de mine de terres rares a été mis sur la glace. La communauté a néanmoins souhaité poursuivre l’analyse de la qualité de l’eau de la rivière, notamment pour demeurer vigilante aux conséquences des changements climatiques. Le dégel du pergélisol, la portion du sol gelée toute l’année, pourrait notamment générer de l’érosion en s’écoulant ou libérer des contaminants, comme du mercure, dans la rivière.

Échelonnés sur trois ans, les suivis réalisés par les campeurs permettront de bâtir des bases de données précieuses pour comparer la situation de la rivière George avec celle des années précédentes ou celle d’autres cours d’eau dans les parcs du Nunavik. « Ces rivières qui s’écoulent vers le nord sont très peu étudiées par rapport aux rivières des zones tempérées, souligne Gwyneth Anne MacMillan. Les données de base, comme celles concernant le pH et la température, se font rares pour les cours d’eau nordiques. »

Imalirijiit | © Sépaq
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Briser la glace

En 2018, 34 personnes au total, dont certains adolescents qui avaient participé aux excursions précédentes, ont remonté en bateau la rivière George. Pas de mouches noires, contrairement aux autres années, mais une eau encore très froide. L’équipage a dû littéralement briser la glace, parfois à l’aide d’une scie mécanique, afin de se frayer un chemin jusqu’aux sites de campement.

La tente scientifique, celle dans laquelle étaient organisés des jeux liés à la science, était au départ boudée par les adolescents. Puis une autre glace s’est brisée. « Les jeunes ont compris que c’était quand même amusant les activités qu’on y avait prévues et ils voulaient toujours être dans cette tente à la fin », raconte Gwyneth Anne MacMillan. À tel point que, lorsque les coordonnatrices ont souhaité préparer une cérémonie et ont demandé aux adolescents de sortir de la tente, elles ont essuyé un mécontentement. « Ils n’ont vraiment pas aimé ça », raconte avec amusement la doctorante. « Ils nous demandaient de les laisser entrer. »

Durant la cérémonie qui se voulait ludique, les organisatrices ont demandé aux adolescents de s’engager à devenir les protecteurs de la rivière George. « Les jeunes prenaient ça vraiment au sérieux, signale José Gérin-Lajoie. C’était beau. » Cette rivière a désormais des gardiens pour veiller sur elle.

Bulletin de conservation 2019

Cet article fait partie de l'édition 2019 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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