Conserver le milieu naturel au-delà des limites des parcs

La qualité de l’eau, la beauté des paysages, la sauvegarde de populations de mammifères, la menace d’espèces exotiques envahissantes : pour répondre à ces enjeux qui dépassent les limites de leur territoire, les parcs nationaux doivent sortir des leurs. C’est pourquoi la Sépaq a entrepris de mobiliser les acteurs présents dans les zones périphériques de ses parcs nationaux, de précieux alliés pour la conservation du milieu naturel dont ils bénéficient en retour.

© Sépaq

Une vingtaine de kilomètres carrés avaient été déboisés dans la MRC de La Haute-Yamaska entre 1999 et 2009. La superficie de cette déforestation dépassait celle de 13,4 km2 du parc national de la Yamaska, protégé à l’intérieur de cette municipalité régionale de comté. Les gestionnaires du parc ne pouvaient rester indifférents. Même si le problème se produisait à l’extérieur de ses limites géographiques, le parc était concerné.

Dans la région, ce déboisement risquait de fragmenter les habitats, d’entraîner une perte de la biodiversité, d’éroder des sols, d’enrichir des eaux de surface et de générer plus fréquemment des épisodes d’efflorescence d’algues bleu-vert dans le réservoir Choinière. Toutes ces conséquences pouvaient avoir un effet néfaste sur l’intégrité écologique de l’aire protégée, notamment sur la qualité de l’eau du réservoir Choinière en son centre.

En réaction, le parc a démarré en 2013, avec la Fondation pour la sauvegarde des écosystèmes du territoire de la Haute-Yamaska et l’organisme Nature-Action Québec, le projet de Ceinture verte du parc national de la Yamaska.

L’objectif : sensibiliser les propriétaires fonciers voisins du parc pour les inviter à participer aux efforts de conservation. Entre 2013 et 2016, 30 propriétaires ont collaboré à la démarche. Une caractérisation biologique leur a été offerte, par laquelle un expert repérait les fragilités et vulnérabilités sur leur terrain. Avec cette information en main, ils pouvaient ensuite mener une meilleure gestion écologique des lieux ou en faire une exploitation en accord avec les efforts pour protéger des milieux naturels.

Au coeur de la mission de la Sépaq

Des actions comme celle-ci à l’extérieur des limites des parcs se trouvent désormais inscrites au coeur des démarches de la Sépaq. En 2012, son plan stratégique sur cinq ans a pour la première fois reconnu l’importance du rôle joué par les acteurs des zones périphériques des parcs nationaux. « La conservation d’un parc, on ne peut pas y arriver seul », explique Marie-Ève Deshaies, biologiste à la Sépaq, qui a cosigné un article sur le sujet paru en janvier 2018 dans la revue scientifique Le Naturaliste canadien. « Les parcs sont trop petits pour protéger à eux seuls la diversité biologique qui s’y trouve. On dépend beaucoup des actions de conservation qui sont réalisées à l’extérieur du territoire pour pouvoir assurer notre mission ».

La démarche n’était pas complètement nouvelle. Certains parcs avaient déjà sollicité auparavant la collaboration de leurs voisins lorsque la situation l’imposait. Ainsi les gestionnaires du parc national de Frontenac travaillent depuis 2006 avec une vingtaine d’organismes au sein du Regroupement pour la protection du Grand lac Saint-François. Le parc occupe seulement 10 % de son bassin versant, le reste du territoire est principalement de tenure privée et est soumis à une utilisation plus ou moins importante en fonction des usages. Les riverains, mais aussi les municipalités, l’organisme de bassin versant, les agriculteurs et bien d’autres acteurs, travaillent de concert et se coordonnent pour maintenir la qualité de l’eau du lac. Pour ce faire, ils ont élaboré ensemble un plan d’intervention de développement durable comportant 57 actions.

Récemment, ce type d’approche a été étendue à l’ensemble du réseau des parcs nationaux. Un forum s’est tenu sur le sujet en 2014 et a débouché sur un plan d’action. La Fondation de la faune du Québec et Environnement et Changement climatique Canada ont accordé un financement pour effectuer, entre autres, la caractérisation des zones périphériques des parcs et déterminer les sites à haute valeur écologique de même que les actions à considérer pour mieux conserver les écosystèmes.

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Journées de réflexion

Une vingtaine de journées de réflexion ont aussi été organisées dans les parcs nationaux du Québec pour sensibiliser et mobiliser des centaines d’acteurs locaux et régionaux. « J’ai senti un bel enthousiasme, assure Marie-Ève Deshaies, qui a assisté à celle du parc national du Fjord-du-Saguenay en 2017. Les gens avaient un intérêt à mettre la main à la pâte et à ne plus considérer le parc comme une cloche de verre fermée. »

Ces rencontres comprenaient un atelier sous la forme d’un World Café. Les participants échangeaient en petits groupes pour définir les stress vécus par le milieu naturel et trouver des idées afin de remédier aux problèmes, avant de les soumettre à l’ensemble du groupe. Cette démarche a mené à la création de projets et à la formation de comités voués à la conservation dans les zones périphériques.

« Dans la reconnaissance des enjeux, les gens sont ouverts et à l’écoute, note Marie-Ève Deshaies. Le défi est un peu plus exigeant en ce qui concerne la mise en oeuvre de solutions. Quand vient le temps de réaliser des actions, il y a plusieurs intervenants et plusieurs préoccupations différentes ». Elle rappelle que les solutions doivent non seulement répondre aux défis écologiques, mais répondre aussi aux défis économiques et sociaux de la région et de ses habitants.

Dans les prochaines années, la Sépaq va continuer la mobilisation des acteurs locaux dans la réalisation de projets concrets et contribuer à leur réalisation. Certains projets concernent plusieurs parcs, comme le projet porté par l’organisme Éco-corridors laurentiens. Celui-ci vise à protéger des corridors écologiques pour relier les parcs nationaux d’Oka et du Mont-Tremblant.

Retour des choses

Lorsque les acteurs locaux contribuent à la conservation des milieux naturels des parcs nationaux, il s’agit d’un juste retour des choses. Les aires protégées apportent d’innombrables bénéfices à ceux qui les avoisinent. Les forêts des parcs, par exemple, purifient l’air, réduisent le bruit et rafraîchissent la température. Les agriculteurs de la région peuvent, par exemple, profiter de la présence d’oiseaux ou de chauves-souris qui les débarrassent d’une certaine quantité d’insectes nuisibles à leur récolte.

Pour avoir une meilleure idée des avantages fournis par les parcs nationaux, le biologiste et consultant indépendant Benoit Limoges a essayé d’y mettre un prix. Il s’est référé à la valeur monétaire attribuée dans d’autres études à certains services rendus par la nature, puis a calculé la valeur de ceux fournis par les parcs nationaux du Québec. Ses résultats, publiés en janvier 2018 dans Le Naturaliste canadien, donnent la pleine mesure de leur apport. Selon ses estimations, la valeur économique totale des parcs nationaux s’élève à plus d’un milliard de dollars par année. De plus, il évalue que ces parcs représentent un capital naturel de 31 milliards de dollars, c’est-à-dire que si on les détruisait, il faudrait déduire cette somme du patrimoine naturel du Québec.

Benoit Limoges reconnaît néanmoins que ces chiffres, même s’il s’est basé sur les valeurs les plus conservatrices accordées à des services écologiques, demeurent imparfaits. Ils servent à donner un ordre de grandeur, afin de mieux comprendre leur importance, souvent oublié dans les exercices comptables.

Certaines retombées économiques des parcs se révèlent plus évidentes, comme celles dans le secteur touristique. Chaque journée de visite par une personne dans un parc national génère en moyenne 66 $ dans les collectivités installées autour, ce qui revient à 300 millions de dollars par année dans l’ensemble des zones périphériques.

D’autres bénéfices sont plus subtils, plus difficiles à quantifier. Par exemple, le réseau hydrique et les milieux humides conservés à l’intérieur des parcs permettent de protéger la région contre l’érosion, de purifier et filtrer les cours d’eau, d’atténuer les inondations et, inversement, de relâcher l’eau accumulée pour alimenter les habitats aquatiques en cas de sécheresse. S’ils disparaissaient, il en coûterait des centaines de millions pour pallier leur absence.

Les répercussions positives de ces espaces naturels dépassent même les frontières des MRC. « Mon voisin guinéen bénéficie des services écologiques rendus par le parc national du Mont-Saint-Bruno », lance Benoit Limoges, alors qu’il se trouve en Afrique de l’Ouest. Comment? Les forêts des parcs nationaux du Québec séquestrent 250 000 tonnes de carbone chaque année, auxquelles s’ajoutent 100 millions de tonnes déjà emmagasinées dans les écosystèmes forestiers et 6 millions dans les milieux humides. Elles contribuent ainsi à la lutte aux changements climatiques, qui concerne l’ensemble de la planète.

De plus, il est possible que certaines ressources génétiques conservées dans les parcs aident les générations futures à traverser des imprévus. « Les gens comprennent bien que les écosystèmes naturels peuvent mener à des découvertes scientifiques, à des remèdes, à des médicaments », évoque Benoit Limoges.

Aujourd’hui, une simple promenade dans la forêt d’un parc national apporte des bienfaits pour la santé physique et mentale, non seulement en raison du calme et de l’exercice physique, mais aussi des composés organiques volatils émis par les arbres. Or pour profiter de ce moment de détente, il faut mettre l’effort pour conserver ce milieu naturel!

Bulletin de conservation 2018

Cet article fait partie de l'édition 2018 du Bulletin de conservation. La version intégrale de ce bulletin est disponible pour consultation.

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