À la recherche de phoques en péril

En tirant profit de la technique utilisée pour dépister les cas de COVID-19, une équipe de chercheurs détecte la présence d’une sous-espèce de phoques enclavée dans des lacs du nord du Québec. L’objectif : s’assurer de sa survie, car elle est en voie de disparition.

Mervi Kunnasranta
© Maxime Brousseau

À l’Institut Maurice-Lamontagne, un centre de recherche de Pêches et Océans Canada situé à Mont-Joli, on utilise une technique d’amplification du matériel génétique similaire à celle qui conduit au dépistage de la COVID-19. À la différence que les échantillons analysés n’ont pas été prélevés dans le nez de personnes aux prises avec d’inquiétants symptômes. Ils proviennent plutôt des lacs et des rivières du parc national Tursujuq et de ses environs. Ce qu’on y cherche? « Des molécules d’ADN du phoque », explique Geneviève Parent, chercheuse scientifique au laboratoire de génomique de l’institut en question.

S’ils appartiennent au phoque commun, les individus de cette région, eux, sont… hors du commun! À un point tel qu’on les classe dans une sous-espèce à part, baptisée phoque commun des lacs des Loups Marins (Phoca vitulina mellonae). Leur particularité? Contrairement à leurs semblables, qui se tiennent en bord de mer, ils vivent en eau douce. Après la dernière glaciation, des phoques communs se seraient aventurés dans des lacs et des rivières du Nunavik reliés pendant un moment à l’océan. Le retrait des glaciers a entraîné un soulèvement du continent, séparant de la mer ces étendues d’eau. Résultat : les phoques se sont retrouvés enclavés à plus de 200 kilomètres de la baie d’Hudson.

© Maxime Brousseau

Ils sont peu nombreux, à tel point que cette sous-espèce a été désignée en voie de disparition en 2007 par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), puis de nouveau en 2018 à la suite d’un réexamen. Mais combien sont-ils? Et où vivent-ils? Ces phoques nageraient dans les lacs des Loups Marins et la rivière Nastapoka. En revanche, le savoir traditionnel des communautés autochtones suggère que leur territoire est bien plus vaste.

Avec la création du parc national de Tursujuq en 2013, il devenait nécessaire d’acquérir une image claire de la répartition des individus afin de s’assurer que leurs activités se réalisent en harmonie avec la présence des phoques. Quelques coûteux inventaires aériens effectués dans la région entre 2010 et 2015 ont permis d’estimer que la population comptait jusqu’à 600 phoques. En 2019, Pêches et Océans Canada, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), la nation crie et le parc national Tursujuq, géré par l’Administration régionale Kativik, revoient leur stratégie. Les partenaires adoptent l’ADN environnemental – ou ADNe pour les intimes –, une approche qui confirme la présence d’espèces sous l’eau grâce aux différents outils de la génomique, dont la technique PCR.

© Marianne Ricard

Les échantillons d’eau provenant des lacs et rivières de la région sont prélevés par les biologistes du parc national Tursujuq, ainsi que ceux du MFFP ou du Centre d’études nordiques, affilié à l’Université Laval, lorsqu’ils voyagent sur le territoire pour observer les arbres, les caribous ou les bœufs musqués. Depuis 2019, plus de 185 échantillons ont été prélevés dans la région du Nunavik.

Néanmoins, l’ADN du phoque ne se laisse pas découvrir facilement. Sans griffes suffisantes pour percer des trous dans la glace, ces phoques prennent leur respiration en hiver dans des zones naturellement libres, soit des rapides où leur ADN se dilue aussitôt. En été, ces mammifères bougent beaucoup pour chasser le poisson. Or, « plus on est près des phoques, plus il y a probablement de l’ADN en forte concentration. » Il s’avère que les phoques sont plus faciles à repérer avec les échantillons prélevés à la fonte des glaces, au printemps.

« La présence des phoques à certains endroits, notamment dans les lacs des Loups Marins et à la rivière Nastapoka, a été confirmée grâce à l’ADNe », signale Clara Morrissette-Boileau, spécialiste de la conservation et de l’éducation au parc national Tursujuq.

© Marianne Ricard

Toutefois, certaines analyses génétiques créent la surprise. C’est le cas de celles effectuées au lac Bienville. Jusque-là, seul un témoignage impossible à valider évoquait une apparition à sa surface. L’ADN du phoque a été détecté dans un échantillon pris à cet endroit, puis dans d’autres prélevés les années suivantes, qui attestent que le mammifère fréquente fort probablement les lieux. Même si ce lac se trouve à l’extérieur du parc national Tursujuq, la donnée est cruciale.

« Il faut s’attendre à trouver des phoques ailleurs, entre les lacs des Loups Marins et le lac Bienville, souligne Clara Morrissette-Boileau. Cela agrandit l’aire de répartition de l’espèce. » Les connaissances acquises grâce à ce projet serviront à la gestion du parc pour éviter que des activités ou des infrastructures importunent cette sous-espèce. « Si jamais on a plus d’informations et que ça devient vraiment critique de poser des actions de conservation, la confirmation de leur présence avec cet outil sera extrêmement utile pour le parc. »

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