Le charme discret des mousses et des lichens
Des inventaires réalisés en prévision de la création du parc national Nibiischii ont permis de mieux connaître les discrets lichens, mousses et hépatiques du Québec nordique.
Une surface rocheuse dénudée offre un spectacle inattendu à Jean Gagnon quand, en mars 2003, le botaniste explore les sommets des monts Otish. « La neige fondait et pourtant il devait faire entre -5 ou -10 °C », se souvient celui qui travaille pour la Direction des parcs nationaux du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). « La lumière du soleil réchauffait un lichen, appelé Rhizocarpon geographicum, étalé sur une grande superficie. La photosynthèse semblait fonctionner, même si la température était sous zéro! »
Dès 2001, Jean Gagnon a soutenu l’idée d’effectuer à cet endroit des inventaires de lichens, de mousses et d’hépatiques. Ce secteur, tout comme celui de la rivière Témiscamie et du lac Albanel, était ciblé comme lieu potentiel d’un parc national.
D’une superficie de près de 12 000 km2, le futur parc national Nibiischii visera, entre autres, à mettre en valeur la culture crie et à protéger la faune et la végétation typiques de la forêt boréale. Au sommet des monts Otish, «c’est totalement un autre monde », affirme Jean Gagnon. « C’est un îlot de toundra, en forêt boréale, comme peuvent l’être les monts Groulx ou les sommets de la Gaspésie.» Le botaniste y a d’ailleurs repéré quelques lichens et bryophytes rares au Québec et en Amérique du Nord. C’est le cas du lichen Catolechia wahlenbergii, qu’on peut aussi voir sur le mont Albert, dans le parc national de la Gaspésie, ou encore des lichens crustacés sur roc Fuscidea gothobergensis et Protoparmelia cupreobadia, répertoriés pour la première fois au Canada! Ces découvertes ont permis de combler un angle mort des herbiers.
« La tendance était d’étudier seulement les plantes vasculaires », souligne-t-il. « Or, on laissait de côté toute une biodiversité : les mousses et les lichens dominent souvent l’écosystème. » Méconnus et discrets, ils ont une importance reconnue dans les écosystèmes nordiques. « Ce sont les premiers organismes à coloniser les milieux et à y établir les bases de la vie », souligne Maxime Brousseau, chargé de projet à la Direction des parcs nationaux du MFFP. Les lichens crustacés, chacun résultant de la fusion d’un champignon et d’une algue, sécrètent des acides qui détruisent peu à peu le roc et favorisent la création d’un sol typique des milieux alpins comme celui qu’on retrouve aux monts Otish. Les mousses, pour leur part, permettent à certains sols de rester humides, ce qui aide d’autres végétaux à y pousser à leur tour. Des lichens, comme ceux des genres Usnée et Bryoria qui pendent des branches, peuvent servir de nourriture l’hiver aux caribous forestiers, dont le domaine vital traverse le futur parc national Nibiischii.
Les inventaires de Jean Gagnon ont contribué à établir la répartition de ces mousses et lichens sur le territoire. « L’acquisition de connaissances, c’est une étape cruciale, insiste Maxime Brousseau. Elle est à la base de l’aménagement, de l’interprétation du paysage et des plans d’éducation qu’on aura dans le parc national.» Elle peut même influer sur le zonage. « Certaines espèces à statut précaire ou espèces rares peuvent justifier la création de zones de préservation extrême », explique-t-il.
Déjà en 2005, le plan directeur provisoire du futur parc prenait en considération les découvertes de Jean Gagnon et émettait des directives pour permettre aux randonneurs de parcourir les monts Otish en réduisant au minimum leur impact sur les fragiles sommets. Et les efforts entourant la création du parc national Nibiischii se poursuivent : le gouvernement du Québec et la Nation crie de Mistissini travaillent en étroite collaboration afin que cette nouvelle aire protégée voie le jour.
« L’acquisition de connaissances se poursuit durant toute la vie d’un parc national », rappelle Maxime Brousseau. Une tâche qui sera assurée, dans ce cas-ci, par la Nation crie de Mistissini, qui pourra aussi se fier aux inventaires effectués par Jean Gagnon pour réaliser son suivi.
« Je pense qu’aux monts Otish il y aura une disparition d’habitats de lichens en raison des changements climatiques, craint le botaniste. La tendance est à la hausse des températures, ce qui veut dire un plus grand développement de la végétation herbacée ou arbustive. » Raison de plus pour protéger ces fragiles mousses et lichens qui ont encore bien des secrets à livrer aux chercheurs.
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Cet article fait partie de l'édition 2022 du bulletin « Dans notre nature ».