Sous l’aile des parcs nationaux

Les parcs nationaux sont des endroits parfaits pour observer les oiseaux… et les protéger.

Éric Deschamps

Sa tête ne trompe pas. Avec ses reflets violacés et son croissant blanc à la base du bec, le garrot d’Islande mâle se distingue du garrot à œil d’or. Il barbote au lac des Pionniers, miroitant au sommet des monts Valin, en compagnie d’une femelle qui arbore plutôt une tache ronde. Les gardes-parcs prennent aussitôt une série de clichés en ce printemps 2017. Ils attendent ce moment depuis 15 ans.

Garrot d'Islande © Suzanne Labbé

La présence du garrot d’Islande à cet endroit n’a rien d’inusité. « Il préfère nicher autour des lacs où il n’y a aucun poisson, souvent situés en altitude », explique Marie-Hélène Hachey, coordonnatrice des programmes de science participative à QuébecOiseaux. La raison ? L’oiseau se nourrit d’invertébrés aquatiques, beaucoup plus abondants en l’absence de poissons.

Pour admirer la faune ailée, Marie-Hélène Hachey aime retourner au parc national des Monts-Valin, où elle a été garde-parc naturaliste pendant cinq ans. « Tout le réseau de sentiers et de refuges du parc conduit les observateurs d’oiseaux à un milieu boréal en altitude auquel il leur serait difficile d’accéder autrement. » Ils peuvent ainsi observer le garrot d’Islande pendant sa période de reproduction, moment où il est justement cantonné dans des lacs perchés à plus 500 mètres d’altitude en forêt boréale. Le parc favorise par le fait même la sauvegarde de ce canard, dont la population, estimée à 6 200 individus dans l’est de l’Amérique du Nord, est désignée vulnérable au Québec.

Les parcs nationaux du Québec profitent aussi à d’autres espèces à statut précaire, dont des oiseaux migrateurs nichant dans l’Arctique, qui les adoptent comme haltes. « Un milieu protégé peut leur offrir un lieu pour se reposer et s’alimenter, ce qui les aidera à poursuivre leur route plus facilement », souligne la biologiste. Le bécasseau semipalmé, un oiseau limicole désigné quasi menacé par l’Union internationale de la conservation de la nature, fait par exemple escale aux parcs nationaux du Bic, de la Yamaska et d’Oka.

« Les parcs nationaux sont vraiment importants, je dirais peut-être même plus en région habitée », insiste par ailleurs Marie-Hélène Hachey. Le parc national des Îles-de-Boucherville, situé en pleine agglomération métropolitaine, en constitue la preuve. Un projet de restauration des terres agricoles y a permis le retour d’une espèce désignée menacée par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) : le goglu des prés.

« Il faut venir tôt le matin pour l’entendre, mais il est de retour par suite des efforts déployés pour la restauration des terres », souligne avec fierté Nathalie Rivard, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national des Îles-de-Boucherville. « Nous avons obtenu la confirmation de la nidification de trois couples cette année lors de notre inventaire. »

Le déclin des oiseaux champêtres

Ce coup de pouce arrive à point nommé. Les populations d’oiseaux champêtres, dont celle du goglu des prés, comptent parmi celles qui ont connu les déclins les plus inquiétants entre 1990 et 2014. C’est du moins le constat qui se dégage du Deuxième Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, publié en 2019 et codirigé par Marie-Hélène Hachey. La transformation des pratiques agricoles explique cette hécatombe. La conversion de cultures pérennes en monocultures de maïs et de soya, l’usage croissant de pesticides et le fauchage effectué plus tôt dans l’année ont mis à mal l’habitat de ces espèces.

« Selon les biologistes, les oiseaux sont de bons indicateurs écologiques, souligne Marie-Hélène Hachey. Quand il y a des problèmes dans un écosystème, les oiseaux en font souvent les frais. Et comme c’est un groupe d’espèces qu’on observe facilement, on peut détecter rapidement ces changements. »

La science citoyenne décolle

© Mathieu Dupuis

Si l’on peut vite constater des variations dans les populations d’oiseaux, c’est en grande partie grâce… au grand public! Dès la décennie 1970, des ornithologues amateurs remplissent des feuillets manuscrits pour garnir la base de données d’Étude des populations d’oiseaux du Québec (ÉPOQ).

La quantité de mentions faites par des citoyens a explosé depuis l’apparition de la plateforme en ligne eBird, créée aux États-Unis par l’Université Cornell, qui s’est elle-même inspirée d’Étude des populations d’oiseaux du Québec.

Chacun peut désormais effectuer une randonnée dans son parc national préféré, prendre en photo les oiseaux rencontrés, puis téléverser ses images ou noter ce qu’il a remarqué par l’entremise d’une application mobile accessible gratuitement. Un volume colossal d’informations se met ainsi à la disposition des scientifiques et des spécialistes de la conservation.

Les oiseaux s’envolent, les données restent

En collaboration avec QuébecOiseaux, qui réunit 32 clubs ornithologiques de la province, la Sépaq explore des avenues pour initier les visiteurs à cette démarche de science participative. Le but : les inciter à contribuer à leur tour, lors de leur séjour dans un parc national, à la cueillette et au partage de données dans eBird ou des plateformes similaires comme iNaturalist. « Cela permet de décupler les efforts d’échantillonnage », illustre Marc-André Villard, biologiste à la Sépaq.

De plus, la Sépaq cherche à structurer les données recueillies sur ses territoires par l’entremise de ces applications, afin de s’en servir pour ses indicateurs. « On espère voir, grâce à elles, certaines tendances chez certaines de nos espèces rares », explique René Charest, spécialiste en conservation dans les parcs nationaux gérés par la Sépaq.

Après tout, la quantité de données est appelée à s’accroître. Une quarantaine de bénévoles de QuébecOiseaux vérifient actuellement les mentions entrées dans eBird, afin de valider leur véracité. « On est obligés de recruter de plus en plus de réviseurs », confirme Marie-Hélène Hachey. Le confinement lié à la pandémie de COVID-19 a créé un engouement sans pareil pour l’ornithologie, amenant des gens de tous horizons à adopter ce passe-temps, notamment dans les parcs nationaux.

Une passion qui donne des ailes

© Stéphane Audet

Il reste à transmettre cette passion aux plus jeunes. En novembre 2021, la Sépaq et QuébecOiseaux ont démarré un projet pilote pour initier des élèves du 3e cycle du primaire aux bases de l’ornithologie. Dans six classes de 5e et 6e année de la région de Montréal, un garde-parc naturaliste a enseigné des techniques pour bien identifier les oiseaux et a proposé un défi d’observation aux élèves: celui de repérer le plus d’espèces d’oiseaux possible dans un parc près de chez eux ou un parc national. Ce projet pilote se poursuivra jusqu’à la fin de l’année scolaire, avant son lancement officiel en septembre 2022.

« Plus on met les jeunes en contact avec la nature, plus ils seront respectueux et comprendront l’importance de la protéger une fois adultes », croit Dave Boulet, biologiste et vice-président Exploitation à la Sépaq. « Les parcs nationaux sont des espaces de découverte incroyables pour familiariser les jeunes générations avec l’ornithologie. »

De quoi garnir davantage les rangs des équipes inscrites au Rallye de Noël et au Grand Défi QuébecOiseaux, qui choisissent souvent les parcs pour contempler le plus d’espèces possible. Car certains de ces ornithologues en herbe auront sûrement la piqûre en tombant sur des oiseaux rares, comme on en voit fréquemment dans les parcs nationaux.

Jardin de grives

Devant l’achalandage croissant des sentiers du parc national d’Oka, Marc-André Villard a entrepris de vérifier si cette affluence nuisait à la reproduction de la grive des bois, une espèce désignée menacée par le COSEPAC. « C’est une bonne nouvelle que plus de gens découvrent les parcs, mais il ne faudrait pas que notre milieu naturel se dégrade », explique le biologiste de la Sépaq.


Grive des bois © Marc-André Villard

Il a donc installé à l’été 2021 des caméras de surveillance pour établir le nombre de visiteurs circulant dans les différents sentiers. Puis, il a repéré les nids de grive des bois à proximité, mesurant leur distance des sentiers, leur hauteur et décrivant leur camouflage. « Ce qui est clair, c’est que les grives des bois n’évitent pas les sentiers, constate-t-il. Il y a des nids à seulement un mètre de distance. L’oiseau voit passer des gens sous son nez toute la journée! »


En revanche, cet achalandage ne semble pas sans conséquence : le succès des nids s’est révélé moindre le long du sentier du calvaire d’Oka, emprunté par de nombreux groupes et familles. À l’aide d’une mini-caméra installée au bout d’une perche télescopique, Marc-André Villard a parfois réussi à analyser le mouvement dans les nids. Des écailles d’œufs brisés ou un nid vide tout juste après la ponte ou l’éclosion d’oisillons trompent rarement : ce sont habituellement les signes qu’un prédateur est passé par là. La liste des suspects est longue : écureuils, geais bleus, éperviers… « Les grives des bois qui nichent près de sentiers sont probablement dérangées, surtout par les grands groupes de visiteurs qui font beaucoup de bruit. L’oiseau est alerté ou quitte alors son nid, ce qui peut attirer l’attention des prédateurs », avance Marc-André Villard. Mieux connaître les conséquences de l’affluence permettra de trouver des solutions pour continuer d’observer la grive des bois sans la mettre en danger.

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Cet article fait partie de l'édition 2022 du bulletin « Dans notre nature ».

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