Petit feu va loin

Par Olivier Niquet

Tout le monde se souvient de l’été 2023. L’été de l’inauguration du Réseau express métropolitain, l’été des inondations dans Charlevoix, et  l’été où Gabrielle Destroismaisons sortait une nouvelle version de sa chanson Et cetera. Surtout, cet été-là, près de 4,5 millions d’hectares de forêt québécoise brûlaient. Un record de tous les temps. C’est l’équivalent de plus de 14 millions de terrains de football (de nos jours, on compte les superficies en terrains de football et les volumes en piscines olympiques). Ça sentait la boucane jusqu’à New York. Pour une fois, le Québec avait une influence sur la grosse pomme. Et ce n’est pas le genre d’influence de laquelle on se vante. 

Un voile de smog empêchait les touristes de bien voir la statue de la Liberté, mais c’était le moindre des problèmes. Parce que les nanoparticules issues de nos forêts en flammes ont pu avoir de sérieuses conséquences sur la santé des individus. On ne parle pas aux nouvelles des gens qui font des intoxications de nanoparticules parce que ça se fait sur une longue période de temps, mais ils existent.

Parc national des Grands-Jardins Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Charles Boutin | © Sépaq

C’est toutefois pour voir les conséquences sur la santé de nos forêts que je me suis rendu au Parc national des Grands jardins, dans Charlevoix. Plus de 30 ans après les feux de 1991, les effets se font encore ressentir. Imaginez, en 1991, internet, les iPhone et les pokés bols n’existaient même pas. Notre monde a bien changé depuis, mais nos forêts, elles, peinent encore à s’en remettre.

Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Laurence Gaudy | © Sépaq
Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Laurence Gaudy | © Sépaq
Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Laurence Gaudy | © Sépaq
Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Laurence Gaudy | © Sépaq

J’y ai vu un paysage rappelant à quelques égards la toundra. Des arbres chenus au milieu de champs de lichen. Un paysage qui détonne par rapport aux territoires épargnés par les flammes de ce même coin de pays. Qu’on ne s’y trompe pas. Le paysage est magnifique. Mais ce n’est pas tout à fait le genre de splendeur qu’on s’attend à voir en ces lieux.

En fait, c’était tellement beau que j’en avais des étincelles dans les yeux. Une situation très risquée à ce qu’on m’a fait comprendre. Les étincelles en forêt, ce n’était pas très sécuritaire. Il ne fallait pas non plus que cet éblouissement m’empêche de voir la réalité en face. Ce paysage avait été causé par des feux, et les feux sont le fruit dans 80% des cas de la négligence des humains. 370 feux par année seraient causés par l’activité humaine. 370 personnes qui se sont dit « bah, ça devrait être correct » prématurément, avant que ce ne soit vraiment « correct ».

Il faut bien comprendre que les feux de forêt sont une bonne chose pour la régénération de la flore. Le problème, c’est qu’il n’y a rien de naturel à un feu initié par une personne trop pressée d’aller publier ses photos de paysages charlevoisiens sur les réseaux sociaux. Je les comprends, j’ai fait pareil. Mais ce n’est pas une raison pour négliger de bien éteindre son feu de camp. Les likes peuvent attendre quelques minutes. Ça vaut aussi pour quelqu’un qui aurait lancé sa cigarette dans un tas de lichen. Les « articles de fumeur », comme on dit dans le milieu des sapeurs-pompiers, sont aussi des sources fréquentes d’incendies.

On nous dit depuis longtemps qu’en matière d’environnement, chaque geste est important, mais nous avons souvent l’impression que nous ne sommes qu’un grain de sable dans l’océan (ou une goutte d’eau sur la plage). Ce n’est pas le cas, mais la sensibilisation est plus difficile quand les effets sont indirects, comme avec les changements climatiques. Dans le cas des incendies de forêt, nos petits gestes peuvent avoir des conséquences très visibles, jusqu’à 30 ans après. En 1991, quelqu’un s’est dit qu’il avait la liberté de faire ce qu’il voulait avec son restant de feu de camp. 30 ans plus tard, nos arbres sont en déficit de croissance. Quand la statue de la Liberté commence à faire de l’asthme, c’est peut-être le temps de se demander si la liberté n’a pas un peu trop le dos large.

Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Laurence Gaudy | © Sépaq
Parc national des Grands-Jardins
Parc national des Grands-Jardins Laurence Gaudy | © Sépaq

Au-delà des effets globaux, les petites négligences ont des effets sur les petites vacances de bien des gens. Si on doit imposer des restrictions pour quelques individus qui ne font pas attention, c’est une grande quantité d’individus dont la liberté d’étrenner leurs tentes et leurs kits de plein air hors de prix est entravée. Les guimauves sur des bouts de bois, les bains de minuits et les effluves de chasse-moustiques devront attendre.

Tant que l’on insistera pour continuer dans nos habitudes, les changements climatiques continueront d’avoir des effets et les risques sur notre faune et notre flore seront plus grands. C’est pourquoi il est temps que l’on déclare un cessez-le-feu. Un cessez de jouer avec le feu, pour que l’on puisse continuer à bénéficier de la nature autour d’un feu de camp sécuritaire. « Attention le feu, c’est chaud, c’est dangereux », chantait Gabrielle Destroismaisons. Voilà de sages paroles. 

Olivier Niquet

À propos d'Olivier Niquet

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est maintenant chroniqueur et coanimateur de l’émission quotidienne La journée (est encore jeune) sur ICI Première. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias, à l’urbanisme et au sport, mais se définit comme un expert en polyvalence.

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