Blogue de conservation

Sentiers d’hier et d’aujourd’hui

12 juin 2012


Des temps immémoriaux à aujourd’hui, les sentiers comme voies de pèlerinage, de commerce et d’accès à l’arrière-pays, ont été largement façonnés et revus. Dans une perspective de restauration et d’aménagement écologique des sentiers, le parc national du Mont-Orford investigue depuis 2007 les meilleures techniques d’aménagement à adopter. Le regard actuel commande désormais de se pencher vers l’équilibre entre l’usage fait et l’usure faite. Sommes-nous sur la bonne piste?

Questions de perceptions et d’usage

L’impression qui demeure après chaque foulée est propre et unique au randonneur. Les motifs qui le poussent à la randonnée aussi. Que cherche-t-il à découvrir? Ce qui l’habite ou ce qui l’entoure? Que perçoit-il de toutes ces pierres placées? Une banalité naturelle ou une conception réfléchie réalisée par une équipe d’aménagistes de Parcs Québec? Tôt ou tard, la pratique de la randonnée pousse à ces questions. Dans la laborieuse tâche de conception de sentiers, l’un des premiers déterminants est la sensibilité, sinon l’aptitude à mettre autrui en relation avec son environnement. Détour logique ou errance intuitive? En substance, la finalité du produit relève des deux.

Le processus de création… concrètement

La raison persiste et dicte la suite des choses. Pour justifier la nécessité du projet, l’étape de la planification doit répondre à certaines questions. Pour qui? Pourquoi? Selon ces deux critères, avec quel budget? Sachant que la suite du processus soulèvera des enjeux écologiques importants, le fondement de la réflexion est essentiel. Aujourd’hui, la fonction fondamentale du sentier consiste en la découverte du territoire. Accessoirement, cela génère de la fréquentation. Mais intrinsèquement, ce sont l’altération de l’écosystème immédiat et la durabilité qui justifient et orientent nos aménagements.

La chute, le bloc erratique, le passage à flanc, le point de vue et les autres curiosités sont autant d’éléments qui doivent être reliés par un tracé subtilement soumis aux caractéristiques du milieu naturel. Et non l’inverse. Une fois déterminé, cet ensemble complexe doit passer à travers les filtres de la caractérisation et de la validation du projet. L’étape décisive est de s’assurer que l’implantation du sentier n’est pas faite au détriment d’espèces floristiques et animales à statut particulier. L’incision que crée le sentier dans son environnement doit avoir un effet aussi imperceptible que possible et ne pas altérer les caractéristiques du milieu. Ainsi, l’unicité d’une plante ou l’inventaire d’amphibiens aux exigences écologiques spécifiques leur confère un pouvoir de droit. En réponse, des mesures particulières doivent être prises pour atténuer l’impact, voire le résorber. Selon le cas, le déplacement de certains tronçons est envisagé. Au besoin, l’abandon du projet, de la chute, du bloc erratique, du passage à flanc, du point de vue, etc.

Action, interaction et interrelations des forces

Érosion, compaction et dynamique de l’eau constituent d’importants champs de préoccupations en aménagement de sentiers. Vues à travers le prisme des pentes et de l’eau, nous comprenons vite où ces forces interagissent le plus, où elles nous bloquent le passage et où elles sont susceptibles de nuire à l’environnement. Une pente ne doit être ni trop faible ni trop forte. Les bas de pente et les zones humides où l’équilibre est fragile sont à éviter. Les escarpements où l’eau est précipitée aussi. Dans la plupart des cas, le meilleur itinéraire progresse vers les hauteurs en contournant les lignes de pente. Parvenu sur une crête ou à proximité d’un sommet, le drainage efficient et l’ouverture sur des points de vue d’intérêt confèrent au sentier un caractère attrayant et agrémentent considérablement l’expérience du randonneur.

Le pic ou la pelle?

Dans la phase d’élaboration d’un projet, une fois les conséquences écologiques de l’implantation identifiées, un autre paramètre entre en considération. L’aménagement sera-t-il manuel ou mécanique? La réponse réside essentiellement dans le niveau de difficulté ciblé, dans la fréquentation appréhendée et dans les caractéristiques géomorphologiques du terrain où se fera l’implantation. Un élément phare accessible du grand public avec peu de dénivelés présente le profil type du sentier aménagé mécaniquement. Cependant, les préoccupations concernant la qualité du substrat en place, la taille de la machinerie utilisée et les habiletés des opérateurs sont grandes. Ces trois éléments doivent être en phase avec les subtilités du tracé déterminé et ne pas se détourner de l’objectif final qui se veut à la fois harmonieux, intégré et ludique.

Compte tenu de tous ces facteurs, l’aménagement manuel est plus souvent favorisé. Plus échelonné dans le temps, il répond mieux aux contraintes inventoriées. Par ailleurs, il permet une plus grande flexibilité dans la mise en valeur d’éléments naturels qui nécessitent des détails d’aménagement délicats.

La pierre, naturellement

Dans les aménagements manuels, la pierre s’impose afin de protéger l’écosystème d’éléments externes en bois traité ou en métal. D’une manière convaincante, les aménagements en pierre permettent une intégration complète et un retour à l’homogénéité de la végétation immédiate l’année suivante. Ceci est facilité par le fait que ces structures circonscrivent la surface de marche et diminuent les possibilités de piétinement extérieur au sentier. En outre, à la différence du bois naturel, la pierre présente un indice de durabilité inégalable.

Par le biais de structures de pierres, on peut se jouer de certaines pentes frontales ou latérales si elles sont bien drainées naturellement. Toutefois, la dimension des pierres revêt une importance déterminante dans la qualité des aménagements. Elles doivent être de fortes tailles et présenter au moins une surface plane afin d’y poser le pied confortablement. La suite est un casse-tête complexe, mais rarement vain qui nécessite de nombreuses – et prudentes – heures de manipulation. Ultimement et lorsque réalisés selon les règles de l’art, l’escalier, le muret de soutènement, le pontage ou le passage à gué doit être sécuritaire et esthétique.

Mais où aller?

Au parc national du Mont-Orford, nous avons souscrit à cette volonté de réduire l’impact environnemental, d’assurer la durabilité des infrastructures et de favoriser la fréquentation sur les sentiers des Crêtes et du Mont-Chauve. Cette philosophie d’aménagement a aussi été appliquée avec succès dans de nombreux autres parcs nationaux du Québec.

Loin du fait isolé, la préoccupation d’implanter des sentiers en adéquation avec notre mission constitue un gage d’équilibre entre la conservation et l’accessibilité. Inversement, la dualité entre la préservation et l’exploitation demeure un débat constant et ouvert, bien que dans la gestion des aires protégées, cette même dualité revêt parfois un caractère interdépendant. Notre préoccupation dans le cas spécifique des sentiers en est une démonstration tangible. Rétrospectivement, il importe de réévaluer fréquemment le caractère évolutif des besoins environnementaux et récréotouristiques. Ce faisant, il est possible de mesurer l’effet de nos actions et de modifier nos normes d’intervention sur une base continue et à la faveur de nouveaux procédés.


François-Xavier Regnault, garde-parc au parc national du Mont-Orford, regnault.francoisxavier@sepaq.com.

Photos : François-Xavier Regnault, Manon Paquette et parc national du Mont-Orford.


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