Blogue de conservation

Des nids de tortues sous haute surveillance

3 avril 2012


Mettre en valeur le territoire pour favoriser sa découverte tout en protégeant sa faune et sa flore représente un défi important pour les gestionnaires des parcs nationaux. Voici un exemple de mesures prises en ce sens au parc national de Plaisance, alors que ses sentiers cyclables furent envahis par des dizaines de tortues…

Le parc national de Plaisance: un site particulier pour les tortues

Lors d’une visite en été au parc national de Plaisance, les chances d’apercevoir une tortue sont plus grandes qu’ailleurs dans le réseau des parcs nationaux du Québec. Sa latitude, la grande superficie de ses milieux humides et l’omniprésence de la rivière des Outaouais contribuent grandement à ce fait. Des espèces observées, les plus deux communes sont la tortue peinte et la tortue serpentine. Une autre, la tortue géographique, peut aussi être vue à l’occasion quoiqu’elle soit plus rare, faisant même partie de la liste des espèces vulnérables au Québec.

C’est au printemps, de la fin de mai jusqu’au milieu de juin, que les tortues femelles en quête de sites pour pondre se déplacent sur la terre ferme près des plans d’eau. Il n’est pas rare d’en observer plusieurs dizaines durant une journée le long des sentiers et des chemins du parc puisqu’elles affectionnent particulièrement ces endroits graveleux exposés au soleil. Le spectacle peut être saisissant pour les visiteurs. Mais, au printemps 2003, on se rendit compte que cette situation pouvait devenir problématique.

Un nichoir cyclable…

En 2002, année de la création du parc, un réseau de sentiers pédestres et cyclables fut construit afin de permettre la mise en valeur du territoire. Au printemps suivant, un phénomène particulier se produisit : dans un secteur fréquenté par les tortues, les femelles se mirent en grand nombre à utiliser le sentier comme site de ponte! Inquiet du sort réservé aux jeunes tortues (ainsi qu’à la piste!), le parc proposa qu’une étude soit menée par une équipe de chercheurs affiliés à Transports Québec. En 2004, ceux-ci constatèrent que, certes, un problème existait, mais qu’il venait plutôt des prédateurs. En effet, tous les nids étaient détruits et les œufs étaient mangés!

Un garde-manger à découvert!

Les tortues, la plupart des tortues serpentines, attirées par l’ensoleillement de la piste et par la nature du gravier utilisé pour sa confection, pondent ainsi « en ligne » le long de celle-ci. Les prédateurs, tels les ratons laveurs et les moufettes, découvrent rapidement un garde-manger facile d’accès n’ayant qu’à suivre la piste cyclable et à s’alimenter à même les nids qui s’y trouvent. L’étude de 2004 conclut que, dans les secteurs où la ponte est importante, près de 100 % des nids (une soixantaine) avaient été ainsi détruits. Cela causait un impact certain sur l’espèce et entraînait aussi une importante dégradation de la piste qui prenait l’aspect d’un véritable champ de mines!

L’aménagement de sites de ponte

À partir de 2005, des sites artificiels de ponte furent implantés. L’objectif était d’inciter les femelles à y pondre plutôt que sur la piste cyclable tout en facilitant la protection des nids. À l’aide de données sur le nombre total de tortues pondant dans le secteur le plus touché et en fonction du taux de prédation naturellement observé, nous avons protégé un certain pourcentage de nids par de cagettes faites de métal ou de bois. La mesure fut fructueuse. Les nouveaux sites de ponte furent effectivement fréquentés par les femelles qui délaissèrent en partie l’utilisation de la piste. Mais, surtout, plusieurs jeunes tortues purent naître grâce à cette initiative. Une question demeurait toutefois : celle de la température.

 

Mâle ou femelle?

Il a été démontré que la température d’incubation peut influencer la détermination du sexe chez certaines espèces de tortues, les températures plus élevées semblant favoriser l’apparition de femelles et les plus basses, celle de mâles. Visant à ce que nos interventions restent le plus « neutres » possible à ce niveau, nous avons cherché à déterminer en quoi le choix du matériau dont étaient faites les structures (métal ou bois) utilisées pour protéger les nids influençait la température d’incubation. En 2010 et en 2011, à l’aide de plusieurs petites sondes, nous avons mesuré la température dans les nids bordés de métal, dans ceux bordés de bois ainsi que dans des nids témoins, sans protection. Ces sondes ont enregistré la température toutes les deux heures à partir du début de juin jusqu’à la mi-septembre, soit aux environs du moment de l’éclosion.

Variation moyenne de température au cours d’une journée selon le type de protection pour la période allant du 4 juin au 14 septembre 2011.

Les résultats obtenus montrent que la structure faite de métal ne semble pas influencer de façon significative la température d’incubation, contrairement à celle faite de bois. Comme on pouvait s’y attendre, cette dernière, fixée à l’aide d’une clôture à neige, isole davantage le nid et y maintient la température plus constante tout en le protégeant mieux des rayons du soleil.

À la lumière de cette étude, l’équipe du parc n’utilisera donc désormais que les cagettes de métal. Puisque, en prime, la mise en place de celles-ci demande moins de manipulations, on diminuera d’autant les impacts et les perturbations physiques que nous pourrions causer aux nids. Par ailleurs, nous continuerons à suivre l’évolution de la ponte dans le secteur, de façon à optimiser le nombre de nids à protéger.


Jean-François Houle, responsable du service de la conservation et de l’éducation au parc national de Plaisance, houle.jeanfrancois@sepaq.com.

Maude Côté-Bédard, garde-parc technicienne au parc national de Plaisance.

Photos : Jean-Marc Vallières, Stéphanie Bentz, Jean-François Houle et Maude Côté-Bédard.


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