Blogue de conservation

S’impliquer pour le suivi des populations de corégone

6 novembre 2012


Alors qu’avec la forme naine du grand corégone on assiste à l’apparition d’une nouvelle espèce, le parc national du Lac-Témiscouata et ses partenaires s’investissent pour réaliser des suivis de quelques indicateurs biologiques et d’exploitation sur la rivière Touladi, le seul lieu de fraie connu à ce jour pour cette population. Les résultats de l’année 2012 furent pour le moins surprenants.

Le corégone, une espèce à part

Le lac Témiscouata abrite plusieurs espèces de poissons intéressantes. Si les amateurs de pêche sportive pensent immédiatement au Touladi (ou truite grise), il existe une autre espèce qui passionne les biologistes et qui n’est pas sans intérêt non plus pour la pêche. En effet, les populations de grands corégones du lac Témiscouata semblent s’être adaptées très rapidement à des variations environnementales donnant ainsi naissance à une forme naine du grand corégone. Cette forme naine, qui se nourrit strictement de plancton et qui atteint sa maturité sexuelle beaucoup plus tôt que la forme dite « normale » qui elle se nourrit des petits animaux de fond, occupe désormais une niche écologique à part. Elle ne se reproduit plus avec la forme normale du grand corégone avec qui elle cohabite dans le lac Témiscouata. On observe donc actuellement, selon le professeur Bernatchez de l’université Laval, un phénomène de spéciation, c'est-à-dire l’apparition d’une nouvelle espèce. À l’automne, les corégones de la forme naine quittent les eaux du lac Témiscouata pour se reproduire dans la rivière Touladi, à l’intérieur des limites du nouveau parc national. Actuellement, c’est le seul site de reproduction connu pour ces populations.

Une pêche déjà ancienne

La pêcherie du grand corégone « forme naine » Coregonus clupeaformis (désigné localement sous le nom de « pointu »)  à l’embouchure de la rivière Touladi est une activité qui se pratique depuis plus d’un siècle. De nombreux sites archéologiques en bordure de rivière pourraient même suggérer une pêche encore plus ancienne. Après plusieurs modifications réglementaires qui ont permis notamment l’interdiction de l’utilisation de filets maillants, la pêche est désormais permise durant 15 jours au début octobre et la limite de prise quotidienne est de 72 poissons. Cette pêche a lieu la nuit, lorsque les poissons remontent massivement la rivière. Les pêcheurs, titulaires d’un permis de pêche sportive sont autorisés à pêcher à l’aide d’un carrelet ou d’une épuisette. La vente de ce poisson est autorisée et aucune condition particulière n’existe concernant la limite de possession. L’exploitation de cette espèce présente donc, en plus d’un caractère sportif, un côté commercial qui est encore recherché par certains pêcheurs.

Pourquoi un suivi?

Actuellement, les frayères de la rivière Touladi sont les seules connues pour la forme naine du grand corégone. La présence du parc et le renforcement de la surveillance sur le territoire devraient permettre d’assurer une protection adéquate des sites de fraie. Toutefois, la conservation de cette espèce en devenir passe impérativement par une meilleure connaissance de l’espèce et des suivis plus stricts de son exploitation, notamment en raison des risques de surexploitation que peut éventuellement entraîner une pêcherie commerciale ou sportive trop intensive. C’est dans cette optique que le parc national du Lac-Témiscouata a décidé de collaborer dès sa création, en 2009, avec la direction de l’expertise Faune-Forêts-Territoire du Bas-Saint-Laurent du ministère des Ressources naturelles (MRN), et d’autres partenaires locaux (la municipalité de St-Juste-du-Lac et le Centre de formation professionnelle du Fleuve-et-des-Lacs) pour effectuer un suivi annuel de cette pêcherie.

Un bon suivi permettra aux différents partenaires impliqués dans ce projet de réagir rapidement et adéquatement en cas de problème et ainsi d’assurer la survie à long terme de la forme naine du grand corégone du lac Témiscouata. Il permettra également de maintenir une qualité de pêche pour l’ensemble des communautés locales.

Quels suivis?

L’enregistrement des statistiques de pêche

Il s’agit de recueillir le plus fidèlement possible auprès des pêcheurs les statistiques d’exploitation. L’enregistrement des pêcheurs sur une base volontaire est réalisé à proximité du principal site de pêche. L’excellente collaboration des pêcheurs permet d’estimer à 90 % l’effort de pêche réalisé annuellement. Sous la supervision du personnel du parc national du Lac-Témiscouata, des stagiaires, provenant du programme de formation Exploitation et protection des territoires fauniques de Dégelis, récoltent chaque soir, les informations permettant d’estimer le nombre de pêcheurs et la récolte totale. Le poids total en kilogrammes (± 10 g) ainsi que le nombre de captures déclarées sont notés. Également, grâce à la participation de certains pêcheurs, des mesures de poids (± 1 g) et longueur totale (± 1 mm) sont réalisées tous les soirs sur une partie des captures.

La récolte d’un échantillonnage journalier de spécimens

Afin de mesurer certains paramètres biologiques, un sous-échantillonnage  journalier de douze corégones est recueilli auprès de certains pêcheurs. Cette approche permet d’améliorer la précision et la qualité des données, notamment en permettant d’estimer l’âge moyen du stock de reproducteurs en migration. Évidemment, le nombre de poissons conservé est fonction du succès de pêche des participants. Les poissons récoltés sont congelés pour analyses ultérieures en laboratoire (par le MRN) afin d’en déterminer le sexe, le poids (± 1 g), la longueur totale (± 1 mm) ainsi que l’âge.

Les résultats

Le premier résultat, et non des moindres, est l’impact de la création du parc sur les prélèvements. Bien qu’il n’y ait pas eu de suivi aussi systématique auparavant, l’ensemble des participants à cette pêche s’accorde pour dire que les pratiques ont changé avec l’arrivée du parc et la présence systématique de personnel pour réaliser les suivis et fournir de l’information.

Alors que les premiers suivis du MRN au début des années 90 semblaient montrer une pression de pêche importante (18,5 tonnes en 1991), les indicateurs d’exploitation estimés en 2009, 2010, 2011 et 2012 suggèrent une diminution de l’exploitation de la population du corégone nain du lac Témiscouata. La récolte en 2011 et 2009 a été estimée à 3,5 tonnes. Cependant, la récolte en 2010 fut relativement plus importante avec 6,5 et cette variation pourrait s’expliquer par une montaison précoce du poisson qui a entraîné deux semaines de forts prélèvements. On a pu également constater en 2012 que des conditions environnementales défavorables pouvaient au contraire fortement limiter la récolte. En effet, la totalité des prises, comprenant un facteur d’ajustement, se monte à 117 kg en 2012, soit trente fois moins que l’année précédente. Cependant, aucune inquiétude pour la population de corégone. Les mesures environnementales montrent que la température de l’eau était encore anormalement élevée pour la saison, et ce facteur a certainement contribué à retarder la fraie cette année et les suivis réguliers depuis laissent penser qu’elle se déroule encore normalement.

De leurs côtés, les indicateurs biologiques suggèrent depuis 2010 que la population est en santé et probablement moins exploitée que par le passé. En effet, l’âge moyen des reproducteurs est d’environs 3,5 ans comparativement à 2,2 ans en 1991. Cet indicateur, étant donné les fortes variations de récoltes induites par les conditions environnementales semble être plus intéressant pour mesurer l’état de santé de la population. Le parc continuera donc, durant les semaines à venir, à prélever quelques individus pour s’assurer que les indicateurs biologiques se maintiennent et qu’il n’y a pas de problème.

L’avenir du corégone

L’avenir du corégone semble assuré pour le moment. La présence du parc et la collaboration constante avec le MRN pour assurer un suivi de l’exploitation de cette espèce garantissent la pérennité de cette activité. Cependant, cette nouvelle année de suivi permet de confirmer que d’importantes variations de la pression de prélèvement peuvent survenir en fonction des conditions environnementales, entraînant ainsi une exploitation plus ou moins forte. Les suivis doivent donc se poursuivre afin de s’assurer, année après année, que les prélèvements ne mettent pas en danger la survie de la forme naine du grand corégone du lac Témiscouata.

Par ailleurs, il reste encore beaucoup de choses à apprendre sur cette possible nouvelle espèce. Ainsi, le parc et ses partenaires continueront à travailler pour apprendre et conserver toujours mieux ce poisson hors du commun.


Joanne Marchesseault, garde-parc technicienne au parc national du Lac-Témiscouata.

Pierre-Émmanuel Chaillon, responsable du service de la conservation et de l'éducation au parc national du Lac-Témiscouata, chaillon.pierreemmanuel@sepaq.com.

Photos : Joanne Marchesseault, Pierre-Émmanuel Chaillon et Great Lake Aquarium.


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